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Jean Meslier, curé de petit village dans le nord de la France au début du
XVIIIème siècle, dans un long testament trouvé après sa mort, expose les
invraisemblances et les contradictions des Ecritures saintes, met en évidence le
caractère néfaste de la morale chrétienne génératrice de soumission et de résignation,
dénonce les inégalités sociales et la propriété privée, et se révèle moniste matérialiste
et dès lors athée.
Ce texte a paru dans le bulletin philosophique goLos φ, numéro 22, 2008-07-15.
Voir aussi :
Mémoire contre la religion, Mémoire des pensées et des sentiments de JM Prêtre-curé d'Estrepigny et de Balaives de
Jean Meslier
Lire Jean Meslier, Curé et athée révolutionnaire de
Serge Deruette
2011-11-12
Si vous passez un jour dans le petit village dETREPIGNY près de MEZIERES dans les Ardennes françaises vous pourrez remarquer sur la façade de la mairie la présence dune plaque commémorative dédiée à un prêtre, Jean MESLIER. Vous pourrez y lire linscription suivante :
Inscription
Etonnant nest-ce pas de commémorer la Mémoire dun Curé dans la France républicaine qui était encore laïque dans les années septante. Un prêtre qui de plus exerça son métier pendant 40 années, et voilà quon le proclame être un précurseur des lumières du XVIIIème siècle ! Mais qui était donc ce personnage pour quon lhonore de cette façon deux cent quarante-cinq années après sa mort ?
La première fois que jai pris conscience de lexistence passée de cet homme, cétait en 1967 lorsque jai lu quelques pages qui lui étaient consacrées, avec quelques erreurs de date, dans lencyclopédie relative à lHISTOIRE DES CIVILISATIONS de Wil DURANT publiée par les éditions RENCONTRES. Et quelques années plus tard, au début des années septante jai eu connaissance, étant membre de LUnion rationaliste de France, du travail de Roland DESNE qui en avait fait lanalyse et publié de très nombreux extraits.
Jean MESLIER est né en 1664. à MAZERNY, une localité proche de RETHEL Il était le seul garçon dune famille comportant 4 enfants. Comme il lécrira dans le Mémoire que lon découvrira après sa mort, il avait endossé lhabit ecclésiastique non pas parce quil était dévoré par une foi ardente mais pour plaire à ses parents qui voulaient lui assurer « un état de vie plus doux, plus paisible et plus honorable dans le monde que celui du commun des hommes ».
Il a fait les études théologiques au séminaire de REIMS sans histoire et devient à lâge de 25 ans le Curé des paroisses d ETREPIGNY et de BALAIVES jusquà son décès en 1729.
Sous lancien régime, un prêtre avait une fonction bien différente de celles dun Curé à notre époque. Le petit Curé de campagne était lOfficier de létat civil qui tenait les registres notant les naissances, les mariages et les décès. Il avait des fonctions également dordre social du moins lorsquil exerçait sa fonction avec correction, il était une sorte de modérateur dans la vie publique de ses paroissiens, il intervenait pour que se règlent des litiges, il prodiguait quelques ressources aux indigents, etc.
Mais tout cela ne concernait que le monde des paysans et des petits bourgeois. Il devait se garder daller à lencontre des pensées et actions de celui qui, dans la sphère profane, avait une influence non négligeable auprès de ses supérieurs ecclésiastiques : en dautres termes le Seigneur du village.
De 1689 à 1716 la vie de Jean MESLIER ne sembla pas être sujette à problème. Il semblait être correctement vu par son Archevêque, Mgr LE TELLIER. Les tracasseries nont commencé quavec le successeur de ce dernier : Mgr de MAILLY. Un homme qui voulait lutter contre toute attitude déviante qui était assimilée à linfluence de lennemi, le Jansénisme.
A la suite dune inspection faite dans la paroisse , Jean MESLIER est durement critiqué comme en témoigne les conclusions du procès verbal rédigé le 12 juin 1716 et libellées comme suit :
Ignorant, présomptueux, très entêté et opiniâtre, homme de bien, négligent léglise, à cause quil na plus de dixmes. Il se mêle de décider des cas, quil nentend pas, et ne revient pas de son sentiment. Il est fort attaché aussi à ses intérêts, et dune négligence infinie, fort dévot et janséniste.
Tout fait farine au moulin. On lui reproche de laisser léglise se délabrer du fait quil ne taxe pas ses fidèles. Aussi de se mêler de régler des différents entre paroissiens. Les préoccupations sociales de Jean MESLIER sont aussi mises en épingle pour le critiquer lorsquil est question de léquipement de létablissement religieux. Les manants et les bourgeois nont quà rester debout lors des offices : nont-ils pas le culot, avec lassentiment du Curé évidemment, dy avoir installé, sans rien payer, des bancs comme le Seigneur du village. Est symptomatique la petite phrase :
Il y a deux ou trois bancs de bourgeois. On les ôtera on laissera seulement celui du seigneur. On ôtera les bancs des particuliers qui même les ont usurpés puisquon ne paie rien du tout ici pour les bancs
Et enfin, cest le cas de le dire, in cauda venenum, arrive le reproche voilé de préoccupations dordre sexuel, attestées par la petite phrase :
le Curé renverra sa cousine incessamment quil retient sous le nom de servante et de parente.
Laffaire nest pas toutefois terminée, car un nouveau procès verbal du 18 juin 1716 fait état dune suite à une plainte déposée auprès de Mgr de MAILLY.
Jean MESLIER y est accusé de ceci :
Il nommera le seigneur au prône. Cest un entêté. Il est divisé davec son seigneur et il disait quil voulait un jugement se moquant de ce que les grands vicaires avaient ordonné. Il avait parlé plusieurs fois aux prônes contre la noblesse et le seigneur indirectement.
Le seigneur en porta sa plainte à Mgr lArchevêque qui fit la correction au Curé. Laprès-midi, dimanche, le Curé parla encore plus mal à son prône contre les seigneurs et les grands du monde. Le gentilhomme seigneur du lieu vint présenter sa requête à M. lArchevêque qui manda le Curé à DONCHERY.
Le Curé donna par écrit ce quil avait dit, et cet écrit de sa main était encore plus fort que ce que le seigneur avait dit dans sa requête. De sorte que convaincu par son propre écrit, par les plaintes, et davoir retenu une jeune servante de 18 ans contre la défense réitérées aux calendes de cette année, M. lArchevêque lui a ordonné à DONCHERY en présence du seigneur de venir passer un mois au séminaire.
Après cet épisode de 1716, la vie de Jean MESLIER sembla être indemne de tout conflit tant avec le seigneur du village quavec ses supérieurs ecclésiastiques. En apparence du moins. Sil na plus exprimé ses sentiments de révolte en paroles, il les a transcrits sur papier. Car après sa mort survenue douze ans plus tard, on a trouvé à la cure dÉtrépigny, trois exemplaires dun manuscrit de près de sept cents pages, un Mémoire qui comprend trois parties, à savoir :
En 1783, soit 54 ans après la découverte du Mémoire, le Curé AUBRY de MAZERNY, village dorigine de Jean MESLIER, envoya à son Evêque son appréciation sur le document. Il en disait quil était :
Une déclamation des plus outrées et des plus grossières contre toutes les religions en général et plus particulièrement contre la religion quil a reçue de nos pères. Aussi son ouvrage est un tissu dimpiétés et de blasphèmes contre les plus respectables mystères de la religion chrétienne. Il y débite ses assertions avec autant de confiance que si elles étaient des démonstrations. Il parle avec la dernière indécence des attributs de dieu, de la trinité des personnes divines, de lincarnation du verbe, du bienfait de la rédemption, des miracles de lévangile et de la morale. Il admettait la matérialité pour première cause. Il a aussi touché fort mal la matière du gouvernement.
Des extraits de ce Mémoire ont été répandus dans les circuits de la littérature manuscrite clandestine sous le nom de Testament. Mais ce nest quen 1864, année bicentenaire de la naissance de MESLIER, que la première édition complète du Mémoire a été réalisée à Amsterdam par le libre-penseur et rationaliste hollandais Rudolf CHARLES dAblaing van Giessenburg. En quatorze années 300 exemplaires ont été vendus. En 1878, les 250 invendus ont été exportés en France. Cest daprès cette édition que MESLIER a commencé à être connu en Allemagne et, au début du XXème siècle, traduit et étudié dans les pays de lEst et aux Etats-Unis.
Avant la diffusion de lintégralité du document au XIXème siècle, on connaissait lexistence de ce Curé surtout par un abrégé du Mémoire que VOLTAIRE avait fait paraître en 1762 sous le titre Extrait des sentiments de Jean MESLIER. Cette version ne représentait que le huitième du texte original. En effet, VOLTAIRE avait éliminé de luvre les démonstrations sociales qui paraissaient révoltantes à ce riche notable. Le philosophe déiste quil était, avait non seulement supprimé les nombreux passages où MESLIER exposait ses conceptions athées et matérialistes, de surcroît, il navait pas hésité à faire s'adresser à Dieu le Curé MESLIER, et à lui faire dire :
Je finirai par supplier Dieu si outragé par cette secte, de daigner nous rappeler à la Religion Naturelle, dont le Christianisme est l'ennemi déclaré ; à cette religion simple que Dieu a mise dans le coeur de tous les hommes.
Et VOLTAIRE avait osé terminer louvrage en sexclamant :
Qu'on juge de quel poids est le témoignage d'un Prêtre mourant qui demande pardon à Dieu.
Et pourtant VOLTAIRE avait eu loccasion de lire en entier le fameux Mémoire. Cela transparaît dune lettre quil avait écrite au Prince Charles Guillaume Ferdinand de Brunswick-Lunebourg. Il commençait par situer le personnage en ces termes :
Le Curé MESLIER est le plus singulier phénomène quon ait vu parmi tous ces météores funestes à la religion chrétienne. Il était Curé du village dEtrépigny en Champagne, près de Rocroi, et desservait aussi une petite paroisse annexe nommée But. Son père était un ouvrier en serge, du village de Mazerny, dépendant du duché de Rethel-Mazarin. Cet homme, de moeurs irréprochables, et assidu à tous ses devoirs, donnait tous les ans aux pauvres de ses paroisses ce qui lui restait de son revenu.
Il continuait en situant la découverte du Mémoire. Et la causticité méprisante de VOLTAIRE se marque pas dans son appréciation de louvrage. Il en dit :
A sa mort, on fut bien surpris de trouver chez lui trois gros manuscrits de trois cent soixante et six feuillets chacun, tous trois de sa main et signés de lui, intitulés Mon Testament. Le corps de louvrage est une réfutation naïve et grossière de tous nos dogmes sans en excepter un seul. Le style est très rebutant, tel quon devait lattendre dun Curé de village . Il navait eu dautre secours pour composer cet étrange écrit contre la Bible et contre lÉglise que la Bible elle-même, et quelques Pères.
Et arrivent alors les raisons pour lesquelles il na pas hésité à caviarder le document. Les propos suivants sont révélateurs :
Plusieurs curieux conservent encore ce triste et dangereux monument. Un prêtre qui saccuse, en mourant, davoir professé et enseigné la religion chrétienne fit une impression plus forte sur les esprits que les Pensées de Pascal. On devait plutôt, ce me semble, réfléchir sur le travers desprit de ce mélancolique prêtre, qui voulait délivrer ses paroissiens du joug dune religion prêchée vingt ans par lui-même. Pourquoi adresser ce testament à des hommes agrestes qui ne savaient pas lire ? Et, sils avaient pu lire, pourquoi leur ôter un joug salutaire, une crainte nécessaire qui seule peut prévenir les crimes secrets ? La croyance des peines et des récompenses après la mort est un frein dont le peuple a besoin. La religion bien épurée serait le premier lien de la société. Ce Curé voulait anéantir toute religion, et même la naturelle. Si son livre avait été bien fait, le caractère dont lauteur était revêtu en aurait trop imposé aux lecteurs. On en a fait plusieurs petits abrégés, dont quelques-uns ont été imprimés : ils sont heureusement purgés du poison de lathéisme .
Car pour VOLTAIRE, il était essentiel que les gueux restent ignorants comme il lavait écrit dans une lettre du 1er avril 1766. Et dans une lettre de 1669 il estimait que pour le peuple devaient suffire « un joug, un aiguillon et du foin ». De même précisait-il en mars 1766 :
Il est à propos que le peuple soit guidé et non pas qu'il soit instruit.
VOLTAIRE faisait partie des nantis. Et pour cet homme fortuné la religion, ce quil appelait un « joug salutaire », tout comme de la « croyance en des peines et des récompenses après la mort » étaient nécessaires pour contenir les éventuelles revendications des miséreux, de la vile « populace » comme il lappelait.
VOLTAIRE ne faisait qualigner son jugement sur celui de VARON, lécrivain ami de CESAR qui édictait :
Pour la bonne marche des affaires, il est important que le peuple ignore beaucoup de choses vraies et quil en croie beaucoup de fausses.
On doit comprendre la prudence cauteleuse de VOLTAIRE car la fin du Mémoire de MESLIER est un appel au régicide et à linsurrection. Ne dit-il pas :
Où sont les Jacques Clément et les Ravaillac de notre France ? Que ne viennent-ils encore dans notre siècle et dans tous les siècles, pour assommer ou pour poignarder tous ces détestables monstres et ennemis du genre humain, et pour délivrer par ce moyen tous les peuples de la terre de leur tyrannique domination.
Unissez-vous, peuples, si vous êtes sages ; unissez-vous tous si vous avez du cur pour vous délivrer de toutes vos misères communes.
Et cette phrase-ci que lon a mise depuis lors à toutes les sauces, nétait certes pas pour apaiser les biens pensants :
Je voudrais, et ce sera le dernier et le plus ardent de mes souhaits, je voudrais que le dernier des rois fût étranglé avec les boyaux du dernier prêtre.
Chaque fois que jai évoqué les pensées du Mémoire, le même reproche a été prodigué à Jean MESLIER, celui de ne pas avoir eu le courage de son vivant de proclamer son matérialisme, son athéisme, son communistes utopique et sa haine des exactions des puissants, du temps.
Comme si nous ne savions pas que de 1184 à 1766, on réprima en FRANCE par la violence toute parole impie, injurieuse envers la divinité. NE PAS S'ECARTER DE LA PAROLE REVELEE était le leitmotiv.
En 1619, si MESLIER avait proclamé son athéisme, il aurait été brûlé vif comme le furent FREMONT et FONTANIER en place de GREVE à PARIS. En 1661, sil avait été de la région d'AMIENS comme Jean de BERGUES, on lui aurait fendu les lèvres du dessus et du dessous avant d'être rompu vif sur l'échafaud. Mais en 1748, comme Jean DUFOUR à Paris, il aurait eu la langue coupée et aurait été pendu avant d'être jeté au bûcher.
Alors, nous qui sommes si frileux en ce XXIème siècle pour user de la liberté dexpression dans notre société, comment pourrions-nous ne pas comprendre la situation de notre Frère en Humanité Jean MESLIER ! Posons-nous la question en nessayant même pas de nous replaçer dans le contexte de son époque : avons-nous le courage :
Devait-il aller plus loin et non pas risquer mais avoir à coup sûr le bûcher sil avait osé exposer de vive voix les pensées qui sont étalées dans son « Mémoire » !
Jean MESLIER avait dailleurs bien cerné la problématique et avait débuté son Mémoire par cette phrase :
Pourquoi avoir attendu la fin de la vie !
Mes chers amis, puisquil ne maurait pas été permis, et quil aurait même été dune trop grande dangereuse et trop fâcheuse conséquence pour moi, de vous dire ouvertement, pendant ma vie, ce que je pensais de la conduite et du gouvernement des hommes, de leurs religions et de leurs murs, jai résolu de vous le dire au moins après ma mort ; . Afin de tâcher de vous désabuser au moins tard que ce fût, autant quil serait en moi, des vaines erreurs dans lesquelles nous avons tous, tant que nous sommes, le malheur de naître et de vivre, et dans lesquelles même jai eu le déplaisir pour moi de me trouver moi-même obligé de vous entretenir je le dis, le « déplaisir » parce que cétait véritablement un déplaisir de me voir dans cette obligation-là. Ce pourquoi aussi je ne men suis jamais acquitté quavec beaucoup de répugnance et avec assez de négligence, comme vous avez pu le remarquer.
Et il poursuivait en déclarant quil voulait enfin dire la vérité, parce que :
Dire enfin la vérité !
Dès ma plus tendre enfance, jai entrevu les erreurs et les abus qui causent tant de si grands maux dans le monde ; plus jai avancé en âge et en connaissances, plus jai reconnu laveuglement et la méchanceté des hommes ; plus jai reconnu la vanité de leurs superstitions et linjustice de leurs mauvais gouvernements.
Jai connu tant de méchancetés dans le monde, que la vertu, même la plus parfaite, et linnocence la plus pure nétaient exemptes de la malice des calomniateurs. Jai vu, et on voit encore tous les jours, une infinité dinnocents persécutés sans raison et opprimés avec injustice, sans que personne fût touché de leur infortune, ni quils ne trouvassent aucun protecteur charitable pour les secourir.
Il nest pas possible danalyser dans le détail le contenu du Mémoire. Je suis dans lobligation de nen retirer que les idées maîtresses.
MESLIER est avant tout un rationaliste qui ne met aucune borne ni exclusive aux conquêtes de la raison. Ne dit-il pas que
pour se perfectionner dans les sciences et les arts qui sont ce à quoi les hommes doivent principalement demployer dans la vie, ils ne doivent que suivre les seules lumières de la raison.
Ou encore :
Je nimmolerai pas ma raison parce que cette raison seule peut me faire distinguer le bien du mal, le vrai du faux. Je ne renoncerai pas à lexpérience parce quelle est un guide bien plus sûr que limagination ou que lautorité des guides que lon voulait me donner.
Mais il reste sur ses gardes, il ne veut pas tomber dans ce que lon a dénommé par après le scientisme. Il est conscient que toute observation est inféodée au subjectivisme de lintéressé et ajoute
Je me défierai de mes sens parce que je nignore pas quils peuvent parfois minduire en erreur ; mais, dun autre côté, je sais quils ne tromperont pas toujours. Je sais très bien que lil me montre le soleil bien plus petit quil nest réellement, mais lexpérience qui nest que lapplication réitérée des sens, mapprend que les objets paraissent constamment diminuer en raison de leur distance. Cest ainsi que je parviens à massurer que le soleil est bien plus grand que le globe de la terre ; cest ainsi que mes sens suffisent pour rectifier les jugements précités que mes sens mavaient fait porter.
Son rationalisme lamène à se déclarer moniste matérialiste. Hors la matière, il ny a rien écrit-il ;
Sur quelles bases ont-ils fondé cette prétendue certitude de l'existence d'un dieu ? Sur la beauté, l'ordre, sur les perfections des ouvrages de la nature ? Mais pourquoi aller chercher un dieu invisible et inconnu pour créateur des êtres et des choses, alors que les êtres et les choses existent et que, par conséquent, il est bien plus simple d'attribuer la force créatrice, organisatrice, à ce que nous voyons, à ce que nous touchons, c'est à dire à la matière elle-même ? Toutes les qualités et puissances qu'on attribue à un dieu placé en dehors de la nature, pourquoi ne pas les attribuer à la nature même qui est éternelle ? . Le monde est un mélange confus de bien et mal ; il s'ensuit évidemment qu'il n'a pas été créé par un être infiniment parfait, et, par conséquent, il n'y a pas de dieu.
Et pour quaucun doute ne subsiste, il sexclame :
De lâme immortelle !
Ah ! Lautre vie ! L'âme immortelle !
Est-ce que nous ne sentons pas, intérieurement et extérieurement par nous-mêmes, que nous ne sommes que matière, et que nos pensées les plus spirituelles ne sont que de la matière de notre cerveau, qu'elles sont le résultat de sa constitution matérielle et que ce que nous appelons notre âme n'est en réalité qu'une portion de la matière, la plus délicate et la plus subtile ?
L'âme n'est ni spirituelle ni immortelle. Elle est matérielle et mortelle aussi bien que le corps. Il n'y a donc point de récompense à espérer ni de châtiments à craindre après cette vie. Il n'y a point de bonté souveraine pour récompenser les justes et les innocents, point de justice souveraine pour punir les méchants. Il n'y a point de Dieu.
Avec beaucoup de perspicacité, MESLIER émet aussi la conception que la matière nest pas statique mais dynamique.
Tout est en mouvement, tout se transforme, tout progresse
écrit-il. Une conception révolutionnaire pour son temps dans le monde de la pensée. Et il poursuit en déclarant que :
La matière a institué, par des modes de mouvement, tous les différents effets ou ouvrages que nous voyons dans la nature : il n'y a que des efforts naturels. La matière obéit à des lois qui, jusqu'ici, nous semblent toujours identiques à elles-mêmes, et cependant il nous appartient d'en modifier l'expression, par exemple, dans les plantes ou arbres sur lesquels nous pouvons mettre des greffes de différentes natures. La vie corporelle, soit des hommes, soit des bêtes, soit des plantes, n'est qu'une espèce de modification et de fermentation continuelle de leur être, c'est à dire de la matière dont ils sont composés, et toutes les connaissances, les pensées et les sensations qu'ils peuvent avoir ne sont, que diverses autres modifications et fermentations.
MESLIER vit au milieu de la paysannerie. Il reste très en contact avec les spectacles de la nature. Il sait ce quest une greffe dun végétal sur un autre. Ce qui en résulte. Et sa vision sans parti pris du monde vivant transparaît aussi lorsquil parle des sentiments et émotions des animaux. Il sexclame :
Quoi, messieurs les cartésiens, parce que les bêtes ne sauraient parler comme vous en latin ou en français ou sexprimer en votre langage pour vous dire leurs désirs, leurs douleurs et leurs maux, non plus que leurs plaisirs et leurs joies, vous les regardez comme des pures machines privées de connaissance et de sentiments.
Et il parle alors de ses paroissiens éleveurs :
Dîtes un peu à des paysans que leurs bestiaux nont point de vie ni de sentiment, que leurs vaches et leurs chevaux, que leurs brebis et que leurs moutons ne sont que des machines aveugles et insensibles au mal, et quils ne marchent que par ressort comme des machines, Dites à ces mêmes paysans que leurs chiens nont point de sentiment ni de vie, quils ne connaissent pas leurs maîtres, quils les suivent sans les voir et sans les sentir. Dites-leur encore quils crient sans douleur quand on les frappe
Il arrive aussi à parler des mouches, araignées et vers de terre que lon écrase et estime que cela suffirait pour démontrer que ces bestioles ne sont pas les ouvrages dun dieu pourvu de toutes les qualités au suprême degré. Il dit :
Penserait-on quun dieu infiniment bon et infiniment sage voudrait prendre plaisir à faire et à former ces viles petites bêtes pour les voir souffrir et pour les faire écraser sous les pieds ? Cela serait indigne de la toute puissance et de la bonté dun dieu qui pourrait facilement les préserver de tout mal et qui pourrait, sil le voulait, leur procurer tout le bien qui serait concevable selon leur nature.
MESLIER martèle à plusieurs reprises la petite phrase :
Il n'y a point de Dieu.
Et que la croyance en la divinité nest pas naturelle. Nous savons tous que la grande majorité des hommes adoptent au plan religieux la croyance du milieu dans lequel ils sont nés et ont passés leurs jeunes années. La plupart des enfants élevés dans un clan où la religion des parents est soit la catholique ou la juive ou la musulmane seront catholiques, juifs ou musulmans. Il avait exprimé cette constatation sous la forme suivante :
Tous les enfants sont des athées. Ils nont aucune idée de dieu les hommes ne croient en dieu que sur la parole de ceux qui nen ont pas plus didées queux-mêmes. Nos nourrices sont nos premières théologiennes ; elles parlent aux enfants de dieu comme elles leur parlent des loups-garous Très peu de gens auraient un dieu si lon neût pas pris le soin de le leur donner.
MESLIER en scandait lidée en dautres endroits de son texte :
Les docteurs du genre humain se conduisent très prudemment, en enseignant aux hommes les principes religieux avant quils soient en état de distinguer le vrai du faux, ou la main gauche de la main droite. Il serait tout aussi difficile dapprivoiser lesprit dun homme de quarante ans avec les notions disparates quon nous donne de la divinité, que de bannir ces notions de la tête dun homme qui en serait imbu dès sa plus tendre enfance.
Des pages durant, MESLIER sattache à démonter lirrationalité de toutes les religions, en particulier de la catholique. Déclarer que le dieu créateur soit la bonté même au delà de ce que lhomme peut imaginer, lui est incompréhensible. Il dit :
Il est absurde dappeler Dieu de justice et de bonté, un être qui fait tomber indistinctement tous les maux sur les bons et les méchants, sur les innocents et les coupables ; il est fantasque dexiger que les malheureux se consolent de leur infortune, dans les bras mêmes de celui qui en est lauteur.
Ou encore demande-t-il si lon peut se fier à un dieu qui condamne à lenfer pour léternité les créatures quil a créées
Est-il dans la nature un homme qui se sente assez cruel pour vouloir de sang froid tourmenter, je ne dis pas son semblable, mais un être quelconque, sans émolument, sans profit, sans curiosité, sans avoir rien à craindre ? Concluez donc, ô théologiens, que, selon vos principes mêmes, votre dieu est infiniment plus méchant que le plus méchant des hommes. Les prêtres ont fait de dieu un être si malin, si farouche, si propre à chagriner, quil est très peu dhommes qui ne désirassent au fond de leur cur que ce dieu nexistât pas ; Imitez dieu, nous crie-t-on sans cesse : Eh, quelle morale aurions-nous si nous imitions ce dieu ?
Et cela lamène à évoquer le problème des tourments de la sexualité !
De la sexualité
Parallèlement, cest une erreur de la morale chrétienne de condamner comme elle le fait tous les plaisirs naturels du corps Car comme il ny a rien de plus naturel que cette inclination qui porte naturellement tous les hommes à ce penchant, cest en quelque façon condamner la nature même Quoi, dieu ! Un dieu infiniment bon voudrait par exemple faire brûler éternellement dans les flammes effroyables de lenfer des jeunes gens pour avoir seulement pris ensemble quelques moments de plaisir ? Pour avoir suivi ce doux penchant de la nature !
Et les bienfaits de la divine providence namène chez lui que sarcasmes
La divine providence ?
Tous les livres sont remplis des éloges les plus flatteurs de la Providence dont on vante les soins attentifs Si je porte mes regards sur toutes les parties de ce globe, je vois lhomme sauvage et lhomme civilisé dans une lutte perpétuelle avec la Providence ; il est dans la nécessité de parer les coups quelle lui porte par les ouragans, les tempêtes, les gelées, les grêles, les inondations, les sécheresses et les accidents divers qui rendent si souvent tous ses travaux inutiles . En un mot, je vois la race humaine occupée à se garantir des mauvais tours de cette Providence que lon dit occupée du soin de son bonheur.
Et il sapplique à dénoncer linutilité du dogme de la vie après la vie terrestre.
De linutilité du dogme de la vie après la vie
On nous vante sans cesse lutilité du dogme de lautre vie. Mais, est-ce bien vrai que ce dogme rende les hommes plus sages et plus vertueux ? Les nations où cette fiction est établie, sont-elles donc remarquables par leurs murs et leur conduite ? Pour désabuser de lutilité des notions religieuses, il suffit douvrir les yeux et de considérer quels sont les murs des nations les plus soumises à la religion ? On y voit des tyrans orgueilleux, des ministres oppresseurs, des courtisans perfides, des concussionnaires sans nombre, des magistrats peu scrupuleux, des fourbes, des adultères, des libertins, des prostituées, des voleurs et des fripons de toute espèce qui nont jamais douté de lexistence dun dieu vengeur et rémunérateur, ni des supplices de lenfer, ni des joies du paradis.
MESLIER a lesprit libertaire. Mais il connaît les contraintes que la vie en société peut amener. Mais ces contraintes doivent axées sur le bien général et non être là pour satisfaire les intérêts particuliers.
De légalité des hommes
Tous les hommes sont égaux par la nature, ils ont tous également le droit de vivre et de marcher sur la terre, et d'avoir part aux biens de la terre en travaillant utilement les uns et les autres pour avoir les choses nécessaires et utiles à la vie.
Mais comme ils vivent en société, et quune société ou communauté dhommes ne peut être bien réglée ni se maintenir en bon ordre sans quil y ait entre les hommes une dépendance et une subordination des uns aux autres, mais il faut aussi que cette dépendance et cette subordination des uns aux autres soit juste et bien proportionnée, cest-à-dire quil ne faut pas quelle aille jusques à trop élever les uns ni à trop fouler les autres, ni à mettre tous les biens et plaisirs dun coté et à mettre de lautre toutes les peines, tous les soins, toutes les inquiétudes et les déplaisirs.
Vivant dans ses paroisses rurales, il est bien conscient de la situation des paysans dans la France du XVIIIème siècle
De la situation des paysans en France au XVIIIème siècle !
Il n'y a rien de si pauvre, de si méprisé que les paysans de France : ils sont les esclaves des grands et des nobles, sans compter ce que les ecclésiastiques exigent injustement de ces pauvres malheureux.
Il en analyse le pourquoi et arrive à la conclusion :
Le pourquoi !
Vous étonnez-vous, pauvres peuples, que vous ayez tant de mal et tant de peines dans la vie ? C'est que vous portez seuls tout le poids du jour, c'est que vous êtes chargés non seulement du fardeau de vos rois et de vos princes qui sont vos premiers tyrans, mais encore de toute la noblesse, de tout le clergé, de toute la moinerie, de tous les gens de justice, en un mot de tout ce qu'il y a de gens fainéants et inutiles dans le monde.
Et les premiers fainéants et inutiles dans le monde sont les gens de la noblesse et les rentiers.
Des nobles et rentiers
On a bien raison de comparer ces gens-là à des vermines, car ils ne font que tourmenter, ronger et manger le pauvre peuple. La religion se fait leur complice. Elle menace les ignorants du diable, comme si les diables pouvaient être plus hideux que tous les beaux messieurs, grands et nobles, que toutes les belles demoiselles, parées, frisées et poudrées, qui sont les plus grands ennemis du peuple et lui font tant de mal.
...cette quantité de riches fainéants qui, sous prétexte qu'ils ont de quoi vivre de ce qu'ils appellent leurs rentes, ne se livrent à aucun travail ! De quelle utilité sont ces gens-là, riches fainéants et mangeurs de la substance du peuple ?
Il dénonce ensuite le parasitisme des religieux.
Du parasitisme des religieux
C'est une injustice, criante de faire manger ainsi à des fainéants la nourriture que, seuls, les bons ouvriers devraient avoir ; c'est une injustice criante d'arracher de leurs mains ce qu'ils gagnent et ce qu'ils font venir à la sueur de leur corps pour le donner à des moines inutiles. Comme si on avait à faire de tous ces gens-là, de tous ces diseurs de messes et de bréviaires, d'oraisons et de chapelets !
A quoi sert qu'ils se déguisent sous tant de diverses et ridicules formes d'habits, qu'ils s'enferment dans des cloîtres, qu'ils marchent pieds nus, qu'ils se donnent la discipline, qu'ils aillent à certaines heures du jour ou de la nuit chanter psaumes et cantiques ?
Il sacharne sur linutilité de la vie contemplative.
De linutilité de la vie contemplative
Quand tous les moines et tous les prêtres célébreraient chacun vingt, trente et même cinquante messes par jour, elles ne vaudraient pas à elles toutes un seul clou à soufflet, comme on dit. Un clou est utile et nécessaire, on ne saurait s'en passer en nombre de choses, mais toutes les prières, toutes les oraisons et toutes les messes ne sont utiles qu'à faire venir de l'argent à ceux qui les disent. Un seul coup de hoyau qu'un pauvre manouvrier donne en terre pour la cultiver est utile et sert à faire venir du grain pour nourrir l'homme.
Un bon laboureur en fait venir avec sa charrue plus qu'il ne lui en faut pour vivre ; mais tous les prêtres ensemble ne sauraient avec toutes leurs prières et tous leurs prétendus saints sacrifices de messes, contribuer à la production d'un seul grain.
Il en arrive à proposer linterdiction purement et simplement de tout ministère religieux
Les utiles et les autres
Mais la profession des prêtres et des moines n'est qu'une profession d'erreurs, de superstitions et d'impostures, et, par conséquent, bien loin qu'elle doive être censée utile et nécessaire dans une bonne et sage République, elle devrait, au contraire, y être regardée comme nuisible et pernicieuse, et ainsi, au lieu de gratifier si bien les gens d'une telle profession, il faudrait absolument les interdire et toutes les superstitieuses et abusives fonctions de leur ministère et les obliger à s'occuper à quelque honnête et utile exercice, comme font les autres.
MESLIER assène que :
Pour démêler les vrais principes de la morale, les hommes nont besoin ni de théologie, ni de révélation, ni de dieux ils nont besoin que de bon sens ; ils nont quà rentrer en eux-mêmes, à réfléchir sur leur propre nature, consulter leurs intérêts sensibles, considérer le but de la société et de chacun des membres qui la composent ; et ils reconnaîtront aisément que la vertu est lavantage, et que le vice est le dommage des êtres de leur espèce
Lhumanisme est en nous-même, ajoute-t-il.
LHumanisme est en nous-mêmes
il y a l'homme, il y a la terre, il y a la vie, il y a le sentiment de l'équilibre et de la justice, et c'est sur cette terre qui lui appartient, dans cette vie qui est sienne, que l'homme doit réaliser la justice, le bonheur, la solidarité et la fraternité universelles.
Ce n'est pas en Dieu que l'homme doit chercher la puissance, la bonté, la perfection, c'est en lui-même. Par l'instruction il deviendra savant, c'est à dire puissant. Par l'éducation, il se fera juste, c'est à dire bon. Par l'aide mutuelle et la solidarité, il réalisera sur la planète qui est son domaine la perfection possible.
Il faut avoir le courage de rejeter toutes les idées préconçues et surtout d'effacer ce préjugé de la perfection des choses actuelles, comme ayant été créées définitivement par l'ordre d'un dieu.
Pour vivre heureux
Si les hommes possédaient et jouissaient également en commun des richesses, des biens et de commodités de la vie, s'ils s'occupaient unanimement tous à quelque honnête et utile travail, ils vivraient tous heureux et contents, car la terre produit assez abondamment pour les nourrir et les entretenir ; personne ne serait en peine ni pour soi, ni pour ses enfants de savoir où il logerait, personne n'aurait à se tuer soi-même par des excès de fatigue et de travail.
Mais pour y arriver, il dit :
En vain prétendrait-on guérir les mortels de leurs vices si lon ne commence par les guérir de leurs préjugés. Assez longtemps les instructeurs des peuples ont fixé leurs yeux sur le ciel ; quils les ramènent enfin sur la terre. Fatigué dune théologie inconcevable, de fables ridicules, de mystères impénétrables, de cérémonies puériles, que lesprit humain soccupent de choses naturelles, dobjets intelligibles, de vérités sensibles, de connaissances utiles.
La source de tous vos maux
La source, donc, de tous les maux qui vous accablent, et de toutes les impostures, qui vous tiennent malheureusement captifs dans lerreur, et dans la vanité des superstitions, aussi bien que sous les lois tyranniques des grands de la terre, nest autre que cette détestable politique des hommes ; car les uns veulent injustement dominer partout, et les autres voulant se donner quelque vaine réputation de sainteté et parfois même de divinité, se sont adroitement servi non seulement de la force et de la violence , mais ont encore employé toutes sortes de ruses et dartifices pour séduire les peuples. Afin de parvenir plus facilement à leurs fins .
Et avec emphase, MESLIER demande aux hommes de lutter ensemble pour labolition de la propriété privée pour instaurer une mise en commun de tous les biens. Et les communautés travailleraient sous la conduite des plus sages et des plus compétents pour le maintien et lavancement du bien public. Et les règles de distribution des vivres et produits seraient : A chacun selon son travail. A chacun selon ses besoins. Agissez donc ô peuples crie-t-il :
Unissez-vous donc, ô peuples !
Levez-vous, unissez-vous contre vos ennemis, contre ceux qui vous accablent de misère et d'ignorance. Rejeter entièrement toutes les vaines et superstitieuses pratiques des religions.
N'ajoutez aucune foi aux faux mystères, moquez-vous de tout ce que les prêtres intéressés vous disent. Car c'est là la cause funeste et véritable de tous vos maux...Votre salut est entre vos mains, votre délivrance ne dépend que de vous, car c'est de vous seuls que les tyrans obtiennent leur force et leur puissance.
Unissez-vous donc, ô peuples ! Unissez-vous tous, si vous avez du coeur, pour vous délivrer de vos misères communes. Commencez d'abord par vous communiquer secrètement vos pensées et vos désirs. Répandez partout le plus habilement possible des écrits semblables à celui-ci par exemple, rendez odieux partout le gouvernement tyrannique des princes et des prêtres. Secourez-vous dans une cause si juste et si nécessaire et où il s'agit de l'intérêt commun de tous les peuples.
Retenez pour vous-mêmes ces richesses et ces biens que vous faites venir à la sueur de votre corps, n'en donnez rien à tous ces superbes et inutiles fainéants, rien à tous ces moines et à ces ecclésiastiques qui vivent inutilement sur la terre, rien à ces orgueilleux tyrans qui vous méprisent...que vos enfants, vos parents, vos alliés quittent leur service, excommuniez-les de votre société. Ils ne peuvent pas se passer de vous, vous pouvez vous passer d'eux et n'ayez pas d'autre religion que de maintenir partout la justice et l'équité, de vous aimer les uns les autres et de garder inviolablement la paix et la bonne union entre vous.
Mais aussitôt, après cette envolée lyrique, supputant lirréalité dun tel communisme utopique, MESLIER retombe sur terre et se laisse aller à des propos pessimistes.
Pouvons-nous lui donner tort lorsque nous voyons ce qui sest passé au XXème siècle avec le rêve communiste des « lendemains qui chantent » et actuellement avec laccroissement de la paupérisation dans le monde, les déchaînements de violence.
Et par dessus tout, il y a la funeste division des hommes, dit-il :
La funeste division des hommes
Mais les grands et les nobles ont intérêt à ce que cet état ne s'établisse pas. Ils préfèrent la division des hommes qui leur permet de les pressurer, de les dépouiller, sachant leur inspirer une telle crainte que ceux-ci n'osent même résister, alors même que les princes les obligent à se précipiter sur les autres peuples pour des intérêts qui ne sont pas les leurs.
L'ordre naturel est ainsi entièrement perverti dans le royaume. La France est victime de l'ambition de ses rois, tout s'y rapporte à une vaine image de gloire et ne rend que plus pesantes les chaînes sous lesquelles elle gémit.
Jean MESLIER a déversé dans son Mémoire toute sa désespérance de voir le monde tel quil est, il en analysé les causes, il en a évoqué des remèdes.
Mais il ne se fait aucune illusion sur ce que les hommes en feront. Il termine son texte par ces propos désabusés :
Je ne serai bientôt plus rien !
Après cela, qu'on en pense, qu'on en juge, qu'on en dise ce que l'on voudra, je ne m'embarrasse pas. Que les hommes s'accommodent et se gouvernent comme ils veulent, qu'ils soient sages ou qu'ils soient fous, qu'ils disent ou qu'ils fassent de moi ce qu'ils voudront après ma mort, je m'en soucie fort peu. Je ne prends déjà presque plus de part à ce qui se fait dans le monde.
Les morts avec lesquels je suis sur le point d'aller ne s'embarrassent plus de rien et ne se soucient plus de rien. Je finirai donc ceci par le rien, aussi ne suis-je guère plus que rien et bientôt je ne serai plus rien.
Même si jen partage certains éléments, je ne suis pas arrivé à ce degré de désespérance. Nous avons la chance de vivre en un temps et dans un pays où il est encore autorisé davoir et de proclamer des options philosophiques sans devoir craindre, comme le malheureux Jean MESLIER, les foudres de lInquisition. Cela ma permis de librement choisir, comme système philosophique, le plus simple, à savoir celui de moniste matérialiste.
Mais comme toute personne qui a perçu la relativité du sens de la vie, je reste conscient que d'autres puissent ne pas être de mon avis, et que la paix de leur esprit devant l'inconnu et surtout l'inconnaissable, les amènent à imaginer qu'un principe vital, un principe spirituel se superpose à la matière inanimée pour former la matière vivante. Et même imaginer que tout lUnivers a un créateur personnalisé.
Mais jentends MESLIER me souffler que cela ne peut-être quà la condition quils ne fassent pas de ce créateur un petit tyranneau qui prône le dolorisme souffrez maintenant et vous serez récompensés dans lautre monde. Et aussi à la condition que ce créateur ne soit pas un petit despote qui sarrogerait le pouvoir de punir dans un après la vie ceux qui auraient commis des actions que dautres hommes auraient décrétées comme mauvaises pour asseoir leur pouvoir.
Il ajouterait quil nest pas un adversaire par principe des croyances proclamées spiritualistes même si elles dépassent son entendement. Mais quelles se calfeutrent dans le cercle privé et nen sortent pas ! Et que les religieux de quelque oripeau dont ils se revêtent, naient jamais la prétention denvahir lespace public. Directement. Ou indirectement avec laide de ceux qui vous mitonnent les lois et règlements.
Mais le magistère des religions structurées sarroge constamment le droit et le pouvoir de codifier et dinterpréter la croyance et les règles de vie de tout qui y adhère. Et pourquoi ces religions structurées maintiennent-elles ces tabous hérités du temps où lhumanité était encore au stade néolithique ? Pourquoi, sinon pour asseoir un pouvoir temporel ? Simplement parce que toute interdiction génère toujours une domination. Et tel est le rôle de ces tabous dont on farcit la tête des enfants dès leur jeune âge, dont le plupart narrivent plus à se dépêtrer ultérieurement, et dont certains ou certaines, même victimes, sen font les plus ardents défenseurs.
A diverses occasions, jai affirmé que toutes les religions structurées sont des instruments doppression. Jai été accusé de sectarisme. Pourtant, chaque fois quune religion a réussi à accaparer le pouvoir séculier, elle sest montrée intolérante. Cela na rien détonnant. Avec les membres de toute hiérarchie religieuse, les faits ne se discutent pas. Ils détiennent la VERITE. Il n'y a que la leur. Le peuple n'a qu'à obéir. Pourquoi permettre la discussion ? Je pourrais le démontrer avec facilité avec les exemples multiples offerts par les régimes où lislam est majoritaire.
On mobjecte que ce nest plus le cas avec la religion catholique. On oublie trop vite que ce nest que dans un message de NOEL, en décembre 1944 alors que la victoire sur l'ALLEMAGNE NAZIE était plus que profilée à l'horizon, que le Pape PIE XII sembla légitimer la démocratie dans un texte pontifical. Mais évidemment avec cette réserve qu'ont reprise les Papes qui l'ont suivi et que le magistère catholique continue à affirmer avec vigueur : si l'avenir appartient à la démocratie, celle-ci ne peut exister que si un rôle de premier plan dans son inspiration et sa mise en oeuvre ne revient pas à la religion du CHRIST et surtout à l'Eglise. Tout qui a suivi les remous de la présentation de la nouvelle Commission de la Communauté européenne au Parlement européen, a vu combien cette volonté dinfluencer les règles morales est toujours là.
BAUDOUIN, ce fonctionnaire royal belge, ne sest-il pas, le 4 avril 1990, autorisé de faire étalage de ses états d'âme catholiques pour refuser la promulgation d'une loi démocratiquement votée. Il ne faisait que mettre en application cette conception particulière de la démocratie.
Avec le Pape Benoît XVI, tout devient limpide. Il a attaqué au synode du 2 octobre 2005 l'Europe sécularisée et a condamné ceux qui veulent bouter dieu de la sphère publique et le cantonner dans la sphère privée. Na-t-il pas proclamé dans son homélie devant les 252 cardinaux réunis en synode :
La tolérance, qui admet Dieu comme une opinion privée mais qui l'exclut du domaine public, de la réalité du monde et de notre vie, n'est pas de la tolérance mais de l'hypocrisie.
(...)
Là où l'homme se fait l'unique maître du monde et le propriétaire de lui-même, ne peut exister la justice. C'est alors le règne de l'arbitraire du pouvoir et des intérêts
Et pour ses fidèles qui ne saisiraient pas le sens de son message, notamment les hommes et femmes politiques, le Pape a menacé du « jugement de Dieu, annoncé dans la Bible » tous « ceux qui l'oublient en Europe et en Occident en général ».
Bigre, dirait Jean MESLIER, le monde actuel a au moins la chance quil ne dispose pas du pouvoir de mettre immédiatement à exécution sa menace sur la planète ! Mais, ajouterait-il, vous qui prônaient le Libre-examen et la liberté de conscience, comment ne voyez-vous pas le retour du religieux pour régir le monde, le retour du religieux qui est à vos portes ?
Mais soyez sans crainte ajouterait Jean MESLIER, une fois quaura été détruite la laïcité politique, la séparation de lEtat et de lEglise que la libre pensée militante et la franc-maçonnerie adogmatique des XIXème et XXème siècle ont réussi à arracher dans vos pays, les tenants de ces religions sentredéchireront pour aboutir à la dictature de la doctrine religieuse majoritaire.
Il nest pas trop tard pour réagir. Mais le ferez-vous ?
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