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Texte tiré du livre Le Québec athée, 2010
2011-02-05
« Les athées savent que le ciel est quelque chose pour lequel il faut travailler maintenant et ici sur terre. »
— Mordecai Richler
« Le monde sera toujours nouveau. »
— Hervé Fischer, essayiste québécois
L'athéisme fut longtemps percu par un nombre important de non athées comme un immoralisme. L'athée était à leurs yeux celui ou celle qui refuse de s'astreindre à une discipline de vie, qui prime sa liberté individuelle plus que tout, qui ne répond en rien de ses propres actes, qui est individualiste, amoureux de lui-même, auto complaisant. Si dieu n'existait pas, tout serait permis, disaient-ils (pas tous heureusement), en se conjurant des images apocalyptiques de société athée qui ne puisse être que décadente. La cité athée ne serait-elle que rangées de chaumières déchues, de vomitoria débordants ? Ensuite arriva la société communiste. Dans l'État soviétique, la doctrine officielle était officiellement athée. Pas de chaumières déchues ni de vomitoria. Il fallut aux non athées de nouvelles représentations réprobatrices des athées ou de l'athéisme. On pensa que les méchants soviétiques, du moins les athées parmi eux, mangeaient les bébés, que c'étaient d'horribles barbares meurtriers, et que l'ensemble de la population languissant sous ce joug, se mourait d'abord et avant tout de retrouver la liberté de conscience, et surtout la liberté de culte. Encore aujourd'hui, dans les pays dont la doctrine officielle est religieuse (le Canada en est un, puisque la suprématie de dieu est bel et bien inscrite en toutes lettres dans le préambule de sa constitution), les gens continuent à croire que les athées sont immoraux et s'inventent de fantastiques histoires pour les vilipender.
Rien ne justifie cette mentalité à l'égard des athées, sauf l'ignorance. Comme je l'ai déjà expliqué, dans des pays comme le nôtre (États Unis, par exemple) la déchéance est corrélée, selon les recherches scientifiques sur la question, avec l'intensité des croyances religieuses et non l'inverse.
Comment est-il possible que les croyants se comportent objectivement de façon moins morale que les athées ? C'est tout simple à comprendre. Les plus grands chercheurs sur le développement moral furent sans conteste les deux psychologues Jean Piaget, le précurseur, et ensuite Lawrence Kohlberg. Nul besoin d'insister sur le fait que ce furent deux athées. Piaget a fait l'observation suivante, contestée par personne. Le jeune enfant présente d'abord un raisonnement moral à caractère hétéronome. Si on lui demande « pourquoi ne faut-il pas voler des biscuits ? » Il répond « parce que maman ne veut pas » ou « parce que si on le fait on sera puni »...Le principe d'action est donc externe à l'identité de l'enfant, d'où le qualificatif « hétéronome » pour décrire le raisonnement. Le petit d'enfant n'a pas de proprium moral. Il n'a pas encore créé pour lui-même de repères identitaires lui permettant de repousser certaines de ses pulsions. Le tout petit enfant ne se comporte de façon socialement acceptable que pour obtenir des récompenses et pour éviter des punitions, ou moins bêtement pour assurer l'affection de ses parents et éviter leur opprobre. C'est ce que tous les spécialistes du développement moral s'accordent pour nommer le stade le plus primitif du développement moral, le stade d'hétéronomie.
Rendu à l'âge adulte la personne à qui on demande « Pourquoi ne faut-il pas voler des biscuits ? » invoquera tout sauf l'éventualité d'une punition. Elle invoquera un principe qu'elle fait sien, un principe auquel elle adhère, un acte de volonté personnelle. Elle dira qu'il est injuste de voler, qu'il est souhaitable de partager équitablement, etc. Elle dira qu'il faut traiter les possessions des autres comme on voudrait que les autres traitent nos possessions, et ainsi de suite. Je vous passe les genres de remarques idiotes que peuvent faire un petit nombre d'adultes écervelés dans ces genres d'études faites par les psychologues. Piaget a bien observé cette mutation radicale des raisonnements moraux que font les gens lorsqu'ils passent à l'âge adulte. Il a dénommé ce type de raisonnement, autonome, et il a décrété qu'il apartient au stade de développement de l'autonomie morale. Personne n'a jamais contesté l'existence de ces deux stades de développement décrits par Piaget. Ce qu'a fait le successeur de Piaget, Lawrence Kohlberg, a consisté à raffiner les observations faites par Piaget. Il en est arrivé à proposer une demi-douzaine de stades de développement du raisonnement moral. Toutefois, les deux catégories d'hétéronomie et d'autonomie n'ont jamais été remises en question : le passage du premier au second stade représente la grande mutation du développement du raisonnement moral.
Or pensons maintenant à ce que serait une éthique purement limitée à ce qui se trouve dans des textes de révélation religieuse. Les textes de révélation religieuse (bible, coran, thorah) comportent de longues listes de ce qui doit être fait et de ce qui ne doit pas être fait, et assortissent ces actions à des listes de récompenses et punitions correspondantes). Par ailleurs, tous les systèmes de lois de tous les pays comportent des listes de ce type aussi. Ces systèmes prescriptifs sont de même nature, ils s'occupent de la gestion des capacités éthiques minimales des populations. Ils opèrent au niveau du stade de développement hétéronome de l'être humain. Ils répondent à la fonction morale infantile qui se trouve en nous tous. La moralité de révélation, ainsi que celle des lois, sont des moralités qui ne sollicitent mentalement que le tout petit enfant en nous.
« La religion fait du reste vivre la relation père-enfant dans ce qu'elle a d'inachevé. C'est pourquoi toute religion est essentiellement infantilisante. Car on oublie que le rôle du père est de se nier comme père... Dans toutes les religions théistes, cette relation au père est explicite... On y observe le réflexe enfantin bien connu : 'Mon père est plus fort que le tien.' »
— Yves Lever, jésuite québécois défroqué et athée
Les deux plus importantes différences entre la moralité religieuse et la moralité légale sont que 1) les morales religieuses sont aussi archaïques que le sont leurs dates d'édition, et évidemment elles ne peuvent évoluer, contrairement aux codes de loi, qui eux, sont en évolution constante); 2) les récompenses et punitions divines vont jusqu'au ciel et à l'enfer, et sont donc plus impressionnantes que les récompenses et punitions civiles. Ces dernières peuvent aller du droit à la liberté civile jusqu'à la peine capitale, mais cela n'est rien à côté de l'éventualité de la damnation ou paradis éternels. Pas étonnant donc que ceux qui ne vivent que pour la religion, pour qui la religion est toute leur vie, qui vont à la messe tous les jours, soient moralement comme de tous petits enfants, c'est à dire donc, évidemment, moralement sous développés. Heureusement, la vaste majorité des gens ne sont pas hyper-religieux.
Il existe, bien entendu, un deuxième degré de la morale religieuse, plus élevé, plus raffiné. Ce sont les textes religieux moraux plus contemporains, inspirés des textes d'origine, les modernisations, les interprétations, les systématisations. Au deuxième degré donc, la morale religieuse devient une scolastique. Que de rationalisation stérile et obsessionnelle (ex. : St Thomas). L'interprétation de la morale comme une liste de vertus et une liste de vices est une absurdité. C'est une morale de machine, inventée pas des moines totalement déconnectés de la vraie vie, avec pour seuls compagnons une plume et une feuille de papier au fond de leurs sinistres monastères. On a codifié l'éthique en une très « didactique » hiérarchie de valeurs au sommet de laquelle on retrouve les vertus « théogoniques » (foi, charité, espérance). Ensuite, on s'est affairé à déterminer la liste des péchés « capitaux » (avarice, colère, envie, gourmandise, luxure, orgueil, paresse). Franchement, ne faut-il pas être simpliste pour croire de telles sottises manichéennes ?
Plutôt, chaque vertu forme une paire dynamique avec son vice antonymique. Tout vice à petite dose peut être autant vu comme une vertu. Chaque vertu poussée à l'extrême peut être conçue comme un vice. À avarice s'oppose mentalité dépensière, à colère s'oppose à-plat-ventrisme, à envie s'oppose suffisance, à gourmandise s'oppose anhédonie, à luxure s'oppose pudibonderie, à orgueil s'oppose pusillanimité, à paresse s'oppose épuisement. Le bonheur est dans l'équilibre et la flexibilité de tous les traits humains. Ne sera-t-on pas une meilleure personne si en plus d'être capables de saisir une occasion pour son plus grand plaisir, on sache s'en tenir fermement à des principes de discipline personnelle, le moment venu ? Le désir déluré n'est-il pas tout aussi nocif que l'indifférence ? L'excès de chasteté n'est-il pas le pire ennemi de l'amour romantique ? Tout ceci avait pourtant été parfaitement compris par Aristote quatre siècles avant la naissance de Jésus (voir son Éthique à Nichomaque). L'enseignement de la morale par la catéchèse, au Québec, pendant plus d'un siècle, a donc représenté une régression d'au moins 2 400 ans. Le risque de telles régressions n'est jamais bien loin d'ailleurs. À preuve, le gouvernement du Québec ayant récemment sécularisé ses commissions scolaires et son ministère de l'éducation, sous la pression des théistes enragés, s'apprête en 2006 à créer un programme d'enseignement « fusionné » d'enseignement des cultures religieuses et de la morale...
« On vend de la drogue dure à des adolescents, on fraude l'État, on viole ses enfants ? Bah, deux dizaines de chapelet, Dieu pardonne tout et le chemin vers le ciel reste ouvert ! D'ailleurs la gravité du geste ne réside pas dans le mal fait au prochain, mais dans l'offense à l'amour de Dieu. Il faut réparer le mal commis ? Oui, certes, mais une petite aumône à l'Église fera très bien l'affaire ! La confession aussi infantilise. »
— Yves Lever, jésuite québécois, défroqué et athée
L'histoire nous montre que la haine et la misanthropie trouvent aisément leur place dans les religions pourvues de dieux agressifs, guerriers, punitifs, controlants, rétributeurs. À ce point de vue, le christianisme est la pire de toutes les religions, et l'islam arrive deuxième. L'athée reprochera au judaïsme sioniste la notion répugnante, raciste et cochonne de « peuple choisi et de terre promise ». L'athée reprochera à l'islam et au christianisme leurs doctrines d'infériorité de la femme. Le Coran place la femme au niveau de l'animal domestique, tandis que le christianisme fait de la femme la première pécheresse, la cause de la fin du paradis terrestre, etc. L'athée reproche aux religions leurs obstructions de la liberté de conscience. Simplement du fait de ne pas connaître le dieu chrétien suffit à exclure l'homme du paradis (ciel) et le condamner à poiroter aux limbes pendant l'éternité. Il y a nombre de belles prescriptions dans chacun des textes sacrés des principales religions monothéistes, mais tout de même ! Lisez la bible, le coran ou le torah avec l'oeil d'un rationaliste. Si cela vous est trop pénible, lisez l'Athéologie de Michel Onfray (2005) qui a fait pour notre bénéfice cet exercice incroyablement fastidieux. Si vous ne vous y retrouvez plus, lisez donc autre chose de plus positif pour votre plus grand bonheur...
Pour mettre les pendules à l'heure, comprenons que ce sont les athées qui ont largement le plus contribué au développement de la pensée morale, et ils ont commencé à le faire longtemps avant la naissance de Jésus et de Mahomet. Contrairement à l'idée reçue, l'athéisme n'est pas une mentalité qui fait le vide d'humanité. C'est le contraire. L'athéisme est riche d'idées morales, comme il est riche de tout l'acumen humain. Les croyants et les athées n'ont ni un ni l'autre le monopole de la bonté, ni la recette du bonheur. Mais en matière de réflexion éthique, il n'y a aucun doute dans mon esprit que ce sont les athées qui y ont le plus contribué, ainsi que je vais le démontrer dans les pages qui suivent. La raison en est fort simple : contrairement aux croyants qui cherchent et trouvent dans un petit bouquin poussiéreux les réponses à tout, les athées n'ont pas ce loisir. Ils sont condamnés à réfléchir à la condition humaine et à développer les solutions éthiques qui correspondent aux conditions de leur vie telles qu'elles se déploient dans un monde changeant.
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