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La laïcité implique-t-elle la neutralité religieuse ?

Rand, David

Cet essai a paru dans le numéro 13 de Cité laïque, revue humaniste du Mouvement laïque québécois.
La traduction anglaise « Does Secularism Imply Religious Neutrality? » a paru dans le numéro 168 de Humanist Perspectives.

2009-09-06



Introduction


Dès que l'on aborde le sujet de la laïcité, on entend fréquemment l'assertion de la neutralité de l'État laïque en matière de religion. Mais cette idée est souvent mal formulée et incorrectement interprétée.

Or, l'État laïque doit se montrer neutre face aux citoyens dans les services qu'il fournit au public. Par exemple, l'école publique et les services de santé publics doivent être neutres face aux clients de ces services. Cette neutralité se manifeste entre autre dans le fait que l'État ignore généralement les appartenances religieuses ou autres que les clients peuvent avoir.

Mais l'État laïque ne doit pas demeurer neutre quant au fonctionnement de ses institutions. En effet, il doit écarter toute hypothèse surnaturelle ou pseudoscientifique et tout dogme religieux dans les prises de décision institutionnelles. Par exemple, les dogmes ne doivent pas être enseignés dans les écoles publiques comme s'il s'agissait de faits, et les soins médicaux doivent se baser sur de solides connaissances scientifiques.

Donc, face à la diversité religieuse la laïcité est neutre : pas de privilèges pour les catholiques, ni pour les juifs, les scientologues, les bouddhistes, les raëliens, les anglicans, et ainsi de suite. Par contre, l'État laïque est tout sauf neutre lorsqu'il s'agit de choisir entre la religion surnaturelle et la réalité naturelle : il tranche contre la religion.

Quelques exemples : Un créationniste (au sens de la litteralité biblique) ne serait pas un bon candidat à la direction d'une institution publique responsable de l'octroi de subventions de recherches en sciences biologiques. De même, un individu qui croit que le sida serait un fléau envoyé par « Dieu » pour punir les homosexuels ne serait pas un bon candidat à la direction d'une institution publique responsable de l'octroi de subventions de recherches en médecine. Enfin, un exemple moins hypothétique : Un philosophe théiste qui prône l'importance de la religion dans la sphère publique et qui a beaucoup de difficulté à admettre la possibilité d'une morale sans dieu serait un candidat plutôt douteux à la coprésidence d'une commission parlementaire dont le mandant inclut la protection de la séparation entre Église et État.

Une mauvaise compréhension de la neutralité de l'État laïque est à la base de plusieurs dérapages fréquemment constatés dans les discussions sur la laïcité. Si, au lieu d'une neutralité face à la diversité religieuse, l'on accepte par contre la fausse idée que cet État devrait se montrer neutre face au fait religieux en général, on en arrive à plusieurs conclusions douteuses qui sont, au mieux, des demi-vérités, sinon carrément fausses.



Assertions


Assertion : « La laïcité n'est pas antireligieuse. »

Il est vrai que l'État laïque n'est pas antireligieux face aux citoyens. Mais le décision d'exclure les hypothèses surnaturelles et pseudoscientifiques du fonctionnement des ses institutions se fonde sur un rejet de la religion comme base de la connaissance. La laïcité a donc un aspect indéniablement antireligieux. D'ailleurs, sans cette orientation, comment pourrait-on justifier l'exclusion des principes religieux dans le fonctionnement de l'État ?

Sans cet aspect antireligieux, la laïcité serait inévitablement tronquée, affaiblie, et risquerait de se dégénérer en une laïcité dite « ouverte » ou à l'américaine. L'essentielle séparation entre les religions et l'État risquerait de se métamorphoser en une ingérence des religions diverses dans les affaires publiques où chaque secte aurait une influence proportionnelle à son poid démographique dans la population.

Finalement, il convient de rappeler que, même avec cet aspect antireligieux, la laïcité demeure toutefois moins antireligieuse que les autres formes de gestion de la religion, y compris les religions elles-mêmes. En effet, la laïcité « ouverte » favorise la ou les religions majoritaire(s) au détriment des religions marginales, tandis qu'une théocratie s'opposerait à toute religion sauf celle d'État. En respectant la liberté de conscience, la laïcité s'avère le regime le moins antireligieux possible.


Assertion : « La laïcité est respectueuse des croyances religieuses. »

C'est faux. L'État laïque ne peut respecter les croyances. Par contre, son mandat est de respecter et faire respecter la liberté de conscience, y compris la liberté de croyance et d'incroyance. Cette distinction entre croyance et liberté de croyance est primordiale. Quant aux nombreuses croyances religieuses, l'État laïque les rejette toutes dans le fonctionnement de ses institutions.


Assertion : « L'État laïque n'a aucune compétence en matière de religion. »

C'est simpliste, voire faux. Au fait, l'État laïque a le devoir d'utiliser tous les moyens raisonnables afin d'acquérir l'expertise nécessaire permettant de distinguer le rationel de l'irrationnel et la science de la pseudoscience. Or, il est vrai que l'État ne peut se prononcer sur la validité relative de deux croyances surnaturelles concurrentes. Par contre, il doit se prononcer contre toutes les croyances surnaturelles dans le sens de les rejeter toutes comme bases du fonctionnement de ses institutions.


Assertion : « La laïcité n'a rien a voir avec l'athéisme. »

C'est complètement faux. D'abord, en tant que garant de la liberté de conscience, l'État laïque doit assurer le droit d'être libéré de la religion, d'être incroyant, d'être athée. Secundo, le principe selon lequel l'État laïque doit écarter des institutions publiques tout principe religieux ou surnaturel se base sur la constatation que ces principes sont à la fois dangereux et non-universels. L'État laïque ne fait pas la promotion de l'athéisme, mais il est athée dans le sens que son fonctionnement se base sur des préoccupations matérielles, humaines, indépendantes de toute idéologie infondée, c'est-à-dire sur des valeurs les plus universelles possibles. Le concept de dieu n'y intervient nullement : ces valeurs sont athées.


Assertion : « L'athéisme d'État est contraire à la laïcité. »

Cette assertion se fonde sur une interprétation tendancieuse de l'expression « athéisme d'État », assimilant ce dernier à un État qui bafouerait la liberté de conscience des croyants. Au fait, il y a une infinité de façons de faire un État sans dieu(x). L'État soviétique et l'État laïque en sont deux exemples, mais qui se distinguent énormément. Le premier, effectivement, bafouait cette liberté, tandis que le second fait de la protection de cette liberté une valeur indispensable. Comme nous venons de voir dans le paragraphe précédent, l'État laïque est bel et bien athée, mais de façon passive pour ainsi dire, sans imposer l'athéisme aux citoyens. L'État laïque permet et protège la liberté de croyance et de pratique religieuse dans la sphère privée, ainsi qu'en public, mais en dehors des institutions publiques. Toutefois, il ne permet pas que cette pratique brime les droits des autres citoyens, y compris leur droit de ne pas se faire imposer une religion.



Un discours honnête


Pour défendre la laïcité, il faut éviter une interprétation simpliste de sa neutralité qui réduirait le rôle de l'État à un banal relativisme. Exagérer la neutralité afin de passer sous silence l'aspect antireligieux de la laïcité serait opportuniste, et surtout inefficace. Les autorités religieuses prônent, par intérêt, la thèse que la croyance religieuse serait nécessaire à la santé « spirituelle » de l'être humain et de la société. La visibilité des athées est donc importante pour contrecarrer la propagande religieuse antilaïque.

Athéisme et laïcité sont évidemment des concepts distincts, mais il ne sont pas indépendants l'un de l'autre. Loin d'être incompatible avec la laïcité, l'incroyance, l'athéisme et la critique antireligieuse en sont des aspects essentiels. La laïcité peut être conçue comme une forme de contrat ou alliance entre les incroyants d'un côté, et les croyants qui acceptent que l'État s'établisse sur des principes universels et non religieux. Pour adhérer à ce programme (et en particulier pour adhérer au MLQ) il n'est certainement pas nécessaire d'être athée. Mais beaucoup d'entre nous le sommes, et essayer de dissimuler ce fait est inutile et ne fait que conforter nos adversaires.



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