Religion et Darwin ou la paille et le grain
Jacques Légaré
Un commentaire, sous forme de lettre ouverte, sur une émission de Radio-Canada sur Darwin.
2008-03-11
J’ai écouté votre émission « Second Regard » sur Darwin où un mathématicien et un prélat causaient des
rapports respectifs entre la science et la religion.
Vos interviewés ont oublié de dire que le mouvement scientifique du XIXe siècle, à la suite
des Encyclopédistes du siècle précédent, était acharné dans son désir d’évincer la théologie comme science crédible
et souveraine.
Quelle misère que cette émission ! Mais elle ne ternit pas pour autant mon admiration pour
Radio-Canada. Le journaliste, bien intentionné pourtant, peinait à cerner l’essentiel tant ses deux interlocuteurs
étaient incompétents pour aller au coeur du débat que les Québécois auraient dû régler depuis longtemps.
D’abord, il faut dire et redire que la science et la religion ne sont pas deux mondes à part, face à face,
en respectabilité égale et avec des domaines respectifs. Cette présentation, récurrente dans les média, est une belle
ruse des religions pour conserver une respectabilité à laquelle elles n’ont plus droit. Qu’est-ce à dire donc ?
- Une religion est une ancienne science, celle des primitifs, qui usaient de la pensée magique et des
rites à vocation d’efficacité qui étaient les tout premiers instruments mentaux que la haute antiquité a fabriqués
dans son tout premier effort pour comprendre le monde, s’y gouverner et y survivre. Bref, la religion est une science
archaïque par ses origines et ses modes d’opération. Elle n’a pas changé d’un iota sur l’essentiel. Elle est et
demeure archaïque, obsolète et d’une efficacité nulle, sauf peut-être l’effet placebo qu’elle générerait à l’occasion.
- La science moderne, notamment la science littéraire, a déjà statué sur la nature des religions et de
leurs textes fondateurs (Torah, Évangiles, Coran). Ce sont des romans, c’est-à-dire des ouvrages de fictions, dans
le sous-genre fantastique. Ce dernier est une fiction dans laquelle les lois naturelles ne sont pas respectées.
Ainsi, prodiges, miracles, divinités, êtres fantasmagoriques, héros surpuissants, chefs au destin exceptionnel et
hors norme sont le menu de tous ces textes. Ils médusent car ils sont mêlés à des légendes et à des faits historiques
enfouis et déformés. C’est la science moderne qui nous le dit. Dès que la critique rationnelle de ces textes débuta
au XVIIe siècle, elle relégua du point de vue scientifique ces textes religieux fondateurs à la place qui
leur revient de droit : ils appartiennent à l’histoire. Ils n’appartiennent donc plus à la culture cohérente
des modernes que nous sommes.
- Toute religion fait son nid de l’inculture de nos contemporains, de leur formation scientifique quasi
nulle ou incomplète. Elle érige des fictions en vérités, ce que ne se permettent pas nos créateurs littéraires et
cinématographiques contemporains. Ils sont à la fois sensés et cultivés.
- Toute religion est une secte, et toute secte est une religion. Il y a une identité de nature. La
distinction entre les deux relève, non de leur qualité qui est identique, mais de leur destin historique qui diffère.
La religion est une secte qui a connu une fortune historique colossale : elle prit le pouvoir et s’infiltra dans
les institutions et la culture de nombreux peuples, et pendant des siècles, voire deux millénaires dans le cas du
christianisme. Ni les sectes, ni les religions n’ont donc changé à cet égard : elles visent toujours le pouvoir
sur des groupes humains, petits à l’origine, ambitionnent son élargissement à toute la société civile, puis accaparent
les rênes du pouvoir et, si possible, pour elle seule. Ce fut son destin historique (pour le christianisme et l’Islam,
et pour le judaïsme dans l’Israël d’aujourd’hui). Aucune religion, en tant que secte, ne démord de cette ambition-là.
- La seule culture, plus précisément la seule philosophie politique, qui a permis la liberté individuelle,
l’égalité des hommes et des femmes, une compréhension et une acceptation d’une sexualité libérée et responsable,
la définition de la culture réservée à l’individu en relation pacifique avec ses semblables, la véritable universalité
de droits des êtres humains à l’intérieur d’États partageant des valeurs vraiment communes, universelles et améliorables
par le débat démocratique, est la culture occidentale, pensée et mise en oeuvre par la philosophie des Lumières.
Ces principaux représentants historiques sont Bayle, Locke, les Pères fondateurs américains, les libéraux et les
socialistes démocrates, les Encyclopédistes français et tous les autres à leur suite qui enrichirent ce paradigme
libéral et scientiste commun. Ils durent composer et ruser avec leur époque ; ils possédaient, pour certains
encore, quelque conviction religieuse, mais pour la reléguer au second plan, dans un évincement progressif, radical
et permanent.
- Toute religion est une idéologie, au sens de mouvement de pensée de grande ampleur, qui ratisse
le plus large possible pour s’étendre et s’imposer, et dont les concepts axiaux sont métaphysiques, extra-terrestres
et fantastiques (divinités, hommes historiques au destin fabuleux (Moïse, Mahomet) ou légendaires (Jésus). Elle est
généralement morbide, à l’esthétique et aux rites funèbres, toute centrée sur le masochisme, la crainte de la mort
et la peur de la vie. Victime de fixisme têtu et obscurantiste sur ses propres textes fondateurs, elle a peur de
la vie, de ses nouveautés, de ses élans créateurs qui sont, comme la vie elle-même, imprévisibles et inquiétants
mais largement positifs. Les trois cents dernières années de progrès nous l’ont démontré, malgré des infortunes
terribles (14-18 ; 39-45 ; 17-89) qui nous en ont fait douter pour un temps.
- Toute religion, en tant qu’idéologie, n’a aucune cohérence logique, n’obéit ni au sens commun ou
bon sens, ni à la rigueur scientifique, ni à sa propre relativisation. Elle se croit l’absolu par son créateur
fictif, au-dessus de toute donnée terrestre ou rationnelle. Bref, elle nage en plein délire, d’où elle tient
curieusement sa force, son ambition pathétique et sa valeur dérisoire.
- Toute religion et toute secte qui ambitionne la même fonction et la même fortune, est une mal-bouffe
culturelle qui doit être remplacée, comme les sciences de la nature depuis Galilée l’ont évincée de la physique,
de la biologie et de l’astronomie. Dans les questions plus spécifiquement humaines, elle doit être remplacée par
les sciences de l’homme et par une philosophie qui leur est rivée, et qui favorise la vie, ses plaisirs et ses
bonheurs. Toute philosophie contaminée par la religion (Descartes, Kant, Hegel et autres) a des lustres indiscutables
par le talent de ces philosophes et ils méritent bien qu’on les lise encore dans nos écoles. Mais ces philosophies
ont aussi des travers dont l’origine est justement d’avoir été inféodées, intimidées, voire cadenassées par des
puissances religieuses dont elles n’ont pas eu la force de se libérer complètement.
- Toute religion qui tapit le fond des identités nationales aboutit à des désastres politiques majeurs,
perdurant et sans issue (La Palestine, et les rapports de l’Occident avec l’ensemble du monde arabomusulman). Sans
compter son sexisme impénitent, son homophobie butée, son refus de la démocratie dans ses structures internes, son
masochisme et appétit de contrôle.
- Si la culture contemporaine reste toujours coincée avec « un curé dans les culottes » comme
disait une féministe, c’est comme si l’économie désirait revenir au Moyen Âge, avec les boeufs et les ânes.
Toute la culture contemporaine, cohérente et fille des Lumières, doit terminer son combat et reléguer
toute religion à ce quelle est vraiment : une pensée primitive qui ne doit plus appartenir qu’à l’histoire.
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