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Je voudrais raconter cette anecdote, mais les personnes et les lieux n'ont pas été nommés dans le but de protéger tous les concernés.
Vous pouvez me joindre par courriel à harlynn@panix.com
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Pour joindre le traducteur Godwin Stewart par courriel : pontille@bigfoot.com
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2002-04-06
J'avais environ 15 ans, et je suivais un stage d'été pour les malvoyants. On m'apprenait à me servir d'une longue canne blanche, et on tâchait de m'enseigner les rudiments de la vie quotidienne, tels que la cuisine simple, comment couper mes aliments, etc. Nous étions une poignée d'étudiants. Certains étaient plus âgés que moi et avaient une vue partielle. Il y avait même quelques étudiants assez âgés qui étaient à la fois malentendants et malvoyants.
Une malentendante et malvoyante nommée Maria et moi-même avons noué une amitié. Souvent, lorsque nous avions du temps libre, j'épelais soigneusement des mots dans sa main en utilisant l'Alphabet Manuel. Elle me répondait avec sa voix. Sa surdité survenant assez tard dans la vie, la parole lui venait facilement.
« Je vais aller à Lourdes demander à Dieu de me guérir » m'a-t-elle confié un jour. J'étais assez surpris. « Comment savez-vous que Dieu vous guérira ? ». Elle s'est mise ensuite à me parler de Jésus et à m'expliquer comment il guérissait les malades. Elle était tellement sûre d'obtenir ce qu'elle voulait qu'il y avait comme un timbre d'autorité dans sa voix.
J'ai revu Maria à son retour de Lourdes. Le voyage lui a coûté des milliers de dollars puisqu'elle a dû se déplacer accompagnée. Elle me paraissait aussi sourde et aveugle que quand elle est partie. Quand je lui ai demandé ce qui s'était passé elle m'a dit : « Et bien, je n'ai récupéré ni ouïe ni vue mais j'ai quand-même eu un miracle. Mon fils m'a contactée. J'ai reçu une lettre de sa part alors que j'étais restée sans nouvelles de lui depuis très longtemps. » Cela m'a paru un prix très élevé à payer pour une lettre, mais même à mon jeune âge je savais quand je devais me taire.
L'école ne m'a pas fait de cadeau. J'avais 15 ans, et j'étais aveugle et plus que bien enveloppé. J'avais très peu d'amis et je me sentais vraiment très seul. Je me surprenais parfois à rêvasser à ce que pourrait être la vie si je voyais. Si seulement on ne m'avait pas mis en incubateur... Je me demandais si j'aurais beaucoup d'amis. Je me demandais comment je me sentirais à pouvoir marcher sans aide et à pouvoir lire mes livres préférés.
Cet été-là je suis allé dans une colonie de vacances à thème musical. L'une des filles là-bas, Jeanne, est devenue une bonne copine. Sa mère s'intéressait au surnaturel, et un jour quand j'ai rendu visite à Jeanne quand la colonie était finie, sa mère m'a lu des articles dans un magazine appelé « Fate » (ou alors « Faith », je ne suis pas sûr). Ce magazine contenait des articles sur des personnes qui communiquaient avec les morts et qui voyaient des fantômes dans leurs chambres. J'adorais ces articles. Un jour, elle m'a lu un article sur une guérisseuse célèbre. Il était écrit que cette personne avait effectué de nombreuses guérisons, et qu'elle avait aidé les aveugles à voir et les infirmes à marcher. Quelque chose dans cet article m'a marqué, et je me suis demandé si cela vaudrait la peine d'aller voir cette célébrité. La mère de Jeanne m'a fait une copie de l'article et je l'ai donnée à ma mère.
J'ai oublié cet article peu de temps après et j'ai repris la routine quotidienne de l'école, les devoirs, et l'écoute de livres enregistrés. De temps en temps en allumant la radio, j'entendais un sermon sur la guérison. Un pasteur noir criait à tue-tête faisant des bruits bizarres. Il disait aux gens de poser les mains sur le récepteur radio pour que le pouvoir de Dieu puisse les atteindre à travers les ondes hertziennes et les guérir. Bien sûr, ce n'était pas difficile de poser la main sur la radio. J'ai même parfois cru sentir un peu de chaleur, mais il ne s'est jamais vraiment produit de quoi casser des barreaux de chaise.
Ma mère m'a demandé de sortir faire une balade avec elle environ deux mois avant la fin de l'année scolaire. Elle m'a dit qu'elle avait contacté la guérisseuse et que nous irions la voir pour une consultation personnelle. Il faudrait prendre l'avion, et ma mère s'inquiétait particulièrement que mon père l'apprenne et nous interdise de faire le voyage. « Ceci va à l'encontre de tout ce qu'on m'a appris. » me dit-elle, « Je ne crois pas en Jésus, je ne crois pas qu'il était le Messie, et les juifs ne parlent jamais de l'intercession de Dieu à travers une personne. Je te donnerais pourtant l'un de mes yeux s'il t'aiderait à voir, et il me semble que nous devons tenter le coup. S'il échoue nous n'aurons rien perdu si ce n'est du temps et de l'argent. »
Les semaines à venir ressemblaient à l'approche d'une réunion surprise quand il faut cacher à tout le monde ce qui va se passer. Ma mère a dit à mon père que nous allions voir une université pour moi, elle a en effet prévu d'en visiter une là où nous allions. J'avais reçu l'ordre de ne parler de ce voyage avec personne, mais j'ai quand-même demandé à quelques copains de classe s'ils avaient entendu parler de cette guérisseuse. Elle était inconnue au bataillon, ce qui accentuait mon excitation. Ma mère m'a relu l'article du magazine et je le connaissais pratiquement par coeur. Comment cette personne serait-elle ?
Le vol était sans fait marquant. Ma mère est restée très tranquille, et je me suis ennuyé à mourir. Nous avons passé la nuit dans un hôtel et les ronflements de ma mère m'ont empêché de dormir.
Nous sommes allés voir la guérisseuse le lendemain matin. Elle nous a accueillis chaleureusement.
Je me souviens de cette rencontre comme si c'était hier. Mes oreilles trouvaient sa voix si belle, et elle avait une façon de prononcer les mots qui m'envoûtait. Cette voix avait une qualité presque musicale, ce qui lui conférait un ton magique et faisait en sorte que je m'accrochais à chacun de ses mots et à chaque fois qu'elle respirait. J'étais complètement séduit par cette voix et j'accordais une attention indivisée à chaque mot qu'elle prononçait.
« Robert, ta mère me disait que tu es un garçon intelligent et combien tu aimerais voir de tes propres yeux. Mais Robert, tu sais que tu vois des choses que nous ne voyons pas. Tu ressens des choses que nous ne ressentons pas. Tu entends des choses que nous n'entendons pas. Tu sens des choses que nous ne sentons pas. » J'écoutais comme si j'étais subjugué par la magie. Quelle femme brillante !
Elle a posé la main sur mon bras, j'étais comme touché par le feu et j'ai sursauté. Elle a ensuite commencé à parler d'un autre monde à venir. « Le lion couchera avec l'agneau, Robert. La paix et l'harmonie régneront parmi toutes les créatures de Dieu. Nous aurons tous des corps parfaits. »
« Je n'ai pas le pouvoir de te guérir, seul Jésus a ce pouvoir. » Elle a allongé le mot Jésus et l'a fait durer à peu près trois secondes. « Oui, Robert », dit-elle, « Jésus peut te guérir s'Il choisit de le faire. Mais, Mme Feinstein, " non " est aussi une réponse. Nous devrons accepter la volonté de Dieu, quelle qu'elle soit. »
Elle m'a ensuite mis de l'huile sur la tête et a commencé à prier pour ma guérison. Elle a demandé que le voile soit levé de mes yeux. Elle a demandé que je puisse voir la beauté de la création de Dieu, surtout le lever et le coucher du soleil. Elle a demandé que la volonté de Dieu soit faite, et que ma mère trouve la paix quels que soient les résultats.
Ensuite, elle a dit : « Souviens-toi, j'ai des documents qui datent de l'époque de Jéééééééééssssssssssuuuuuuuuuus !! » Quelque chose dans cette déclaration m'a fait trembler de façon incontrôlable. J'étais intimidé, terrorisé. J'osais à peine respirer.
Ma mère l'a remerciée et nous avons pris congé. Nous avons pris un taxi jusqu'à l'aéroport et ensuite l'avion pour le retour à la maison. J'ai essayé de parler des événements de la journée, mais ma mère m'a dit de ne pas en discuter, même pas avec elle, et que nous devrions attendre et voir ce qui allait se passer.
J'ai maintenant 51 ans et mes parents sont tous les deux décédés. Je suis toujours aveugle, mais je peux au moins évaluer ce qui s'est passé ce jour-là avec un peu plus de clarté que quand j'étais un jeune garçon.
Je comprends maintenant le désarroi de ma mère face à un enfant aveugle, pas autant par rapport à la cécité elle-même que par rapport au fait de ne pas être accepté à l'école. Je lui disais sans cesse à quel point je voulais avoir des copains comme les autres gosses, que je voulais les accompagner et faire ce qu'ils font. Ma mère s'est rendu compte que sa compagnie n'était plus assez pour son enfant aveugle et elle ressentait une douleur que seule une mère peut ressentir face à ma solitude et mon besoin de faire partie d'un groupe d'enfants de mon âge. Ne sachant pas quoi faire pour l'aider, elle a fait l'impensable - elle est allée voir une guérisseuse. En repensant à sa réaction à toute l'épreuve je crois fermement qu'elle savait que c'était une perte de temps et d'argent. Pourtant, elle ne savait pas quoi d'autre offrir à son fils, alors elle a décidé d'essayer, au cas où... juste pour voir s'il y avait la plus infime chance que cet acte pourrait aider son fils malvoyant.
Je sais maintenant que c'est mal de promettre une guérison, ou même de déclarer qu'on essayera de guérir quelqu'un. Le clergé devrait aider les gens à accepter leur lot plutôt que de leur donner de faux espoirs. Je ne peux évidemment pas parler des croyances de cette guérisseuse particulière, mais je peux dire qu'en ce qui me concerne, beaucoup d'argent et, plus important encore, beaucoup d'espoirs sont passés par la fenêtre.
Si les gens choisissent de se rendre à l'église ou à la synagogue pour une élévation spirituelle, c'est une chose, mais le clergé ne devrait pas faire de fausse promesse. Certaines personnes souffrent de maladies psychologiques, et le fait de croire qu'elles ont été guéries peut éventuellement les aider, mais ce n'est pas du tout la même chose qu'une vraie guérison physique.
Il est assez intéressant de noter que, d'après ce que j'en sais, les guérisons documentées sont pour le moins vagues. Que je retrouve la vue aurait été vraiment miraculeux étant donné que mes rétines ne sont plus attachées et que mes nerfs optiques sont probablement morts. Une condition comme la mienne ne sera jamais guérie à l'église ou ailleurs par simple apposition des mains.
Les réunions dont le but est de guérir les malades devraient, à mon avis, être interdites, ou alors un médecin devrait être présent pour expliquer que les gens ne sont pas vraiment guéris, sans quoi ces gens vont être placés dans une situation potentiellement dangereuse. Imaginons le cas d'un diabétique qui, croyant être guéri, refuse de prendre son insuline. Qui est alors responsable de sa mort ? Les meneurs religieux n'ont pas à jouer avec la vie des gens d'une façon aussi cavalière, et ceux qui font de fausses promesses de guérison devraient être punis sévèrement. Peut-être devrait-on instaurer des lois visant à protéger les citoyens de ce genre de chose.
La guérisseuse que ma mère et moi avons visitée a fait une chose que je respecte malgré tout. Dès le départ elle a dit qu'elle ne pouvait promettre ma guérison. Je l'estime ne serait-ce que pour cela, et ma mère aurait dû faire preuve d'assez de perspicacité pour renoncer à toute l'épreuve.
Malgré tout, je n'oubliera jamais cette voix, avec ses hauts et ses bas incroyables, aussi longtemps que je vivrai.
J'aimerais ajouter un point important à cette expérience de la rencontre avec la guérisseuse. Comme je l'ai déjà dit, sa déclaration de posséder des documents datant de l'époque de Jésus m'a effrayé. Lorsque j'étais à l'université, moi-même et un autre étudiant dont le père était pasteur sommes devenus amis. Cet étudiant avait entendu parler de la guérisseuse que nous avions consultée. Quand je lui ai parlé de l'expérience de ma rencontre avec elle, il m'a dit qu'il était impossible qu'elle puisse posséder des documents de l'époque de Jésus parce que de tels documents n'éxistaient pas. Ceci m'a vraiment étonné et m'a montré l'importance des mots prononcés et pas seulement de la façon dont ils sont prononcés.
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