atheism.davidrand.ca : Vivre sans religion | |
---|---|
> Table des matières | |
> > Répertoire | |
> > > Le christianisme évangélique de Papy | |
Un dialogue, imaginaire mais ô combien interrogateur, entre un jeune homme incroyant et son grand-père, chrétien évangélique « né de nouveau ».
2008-11-22
La remarque dun critique littéraire, cueillie à lenvolée au cours dun débat télévisé, sans que jaie pu retenir le nom de son auteur, me revient en mémoire au moment de rédiger cet écrit : « Aujourdhui, lécrivain qui connaît le succès est celui qui raconte, pas celui qui démontre ».
Si cet expert voit juste, les pages qui suivent risquent fort de nintéresser que peu de lecteurs ; elles ne racontent rien mais prétendent effectivement et seulement démontrer que les croyances religieuses, en tout cas les dogmes chrétiens et plus particulièrement ceux des chrétiens dits évangéliques, sont incompatibles avec la logique et la morale les plus élémentaires.
Elles présentent un dialogue, imaginaire mais ô combien interrogateur, entre un jeune homme incroyant et son grand-père, chrétien évangélique né de nouveau.
Dans ce dialogue nous désignerons le jeune homme par « P.F. » (Petit-Fils) et son aïeul par « Papy ».
Les chrétiens évangéliques, qui se prévalent de lexpérience dune nouvelle naissance, compteraient plusieurs dizaines de millions dindividus de par le monde, essentiellement dans les pays à forte présence protestante, Etats-Unis, nations britanniques et scandinaves, Pays-Bas, Suisse et Allemagne mais aussi, depuis peu, Amérique Latine et divers pays sous-développés.
En France, on en dénombre plusieurs milliers, répartis chez les pentecôtistes, les darbystes, les assemblées de frères et autres dénominations. Ils y passaient à peu près inaperçus jusquà ce que lélection de George W. Bush ait braqué un projecteur sur cette catégorie de chrétiens dont le président américain se réclame et qui ont joué un rôle déterminant dans le soutien à son intervention en Irak et pour sa réélection.
Au travers du dialogue entre un imaginaire jeune homme incroyant et son Papy, le lecteur découvrira, page après page, ce que sont les croyances de ces born again, comme on dit aux States. Il pourra ainsi les juger au travers des questions et objections formulées par le jeune incroyant.
P.F. : Grand-père, veux-tu que nous commencions notre conversation en parlant de Dieu ?
Papy : Oui, avec plaisir.
P.F. : Un savant rationaliste [1] un peu taquin, aimait à dire : « Le plus mauvais tour que lon puisse jouer à un croyant, cest de lui demander de définir son Dieu ». Peux-tu relever le défi et donner une définition du Dieu en lequel tu crois ?
Papy : Ce savant se trompait. Rien nest plus simple. Oh ! Je sais que certains, voulant ou pensant disculper Dieu de la grande misère du monde, le présentent comme limité dans sa puissance ou même, cest le cas du théologien juif Hans Jonas, comme étant devenu totalement impuissant. Mais pour nous qui croyons que la bible est la Vérité quil faut prendre au pied de la lettre, il ny a quun Dieu, celui quelle nous présente.
P.F. : Ça ne le définit pas.
Papy : Jy viens. Dieu est un être purement spirituel dont la présence est universelle. Il est éternel, nayant ni commencement ni fin. Il est tout-puissant et omniscient. Enfin, il est à la fois lamour et la justice personnifiés. Cest lui qui a créé lunivers et généré la vie.
P.F. : Quest-ce que ça veut dire « un être purement spirituel » ?
Papy : Dieu est immatériel. Il na pas de corps. Il est lintelligence et la conscience universelles.
P.F. : Je narrive vraiment pas à me représenter cela. Je ne suis pas le seul dailleurs. Cest tellement difficile à concevoir quon la maintes fois montré sous la forme dun vieillard à chevelure abondante et à belle barbe blanche. La bible elle-même lui prête un corps en Exode XXXIII, ou au moins « une face » (verset 20), « une main » (v. 22) et « un derrière » (v. 23).
Papy : On ne peut pas représenter le Créateur. Un esprit na pas de consistance matérielle.
P.F. : A propos de créateur, on se demande pourquoi ce nest quaprès des milliards et des milliards et des milliards de milliards de milliards de millénaires, pour tout dire après une éternité, quil a éprouvé le besoin de créer. Un fils, des anges, lunivers.
Papy : Il est Dieu, il fait ce quil veut et il na pas dexplications à fournir à sa créature.
P.F. : Cette façon dapprouver quun chef, un responsable, un patron, un roi, un gouvernant nait de compte à rendre à ses administrés, ne relève-t-elle pas dun passé révolu ? Ne participe-t-elle pas dune mentalité qui nest plus la nôtre ? La génération de chrétiens qui a précédé la tienne a pu raisonner ainsi mais aujourdhui cette vision de la souveraineté est plutôt choquante.
Papy : Dieu, cest autre chose quun responsable humain dont la seule faillibilité exige quil sexplique sur sa conduite. Dieu est parfait et tout ce quil entreprend lest aussi. Il na pas à nous dire pour quelles raisons il a créé lunivers ni pourquoi il la créé tel quil est, ni pourquoi il la fait sur le tard. Mais tu ne doutes pas de lexistence du Créateur tout de même ? Cest si évident !
P.F. : Le doute est érigé chez moi au rang de vertu. Peu ou prou, je doute de tout ce qui nest pas universellement admis.
Papy : Ça fait beaucoup de choses !
P.F. : Oh oui !
Papy : Pour être convaincu de lexistence du Créateur, il suffit pourtant dobserver la nature. Sans partir très loin dans lespace, regardons autour de nous. Considérons les conditions nécessaires à la vie sur terre, la présence de leau, son cycle, son rôle ; elle sélève des océans et mers, retombe sur le sol, alimente les nappes phréatiques et nous revient par nos indispensables sources. La proportion doxygène dans latmosphère est exactement celle qui convient à nos poumons et à dautres aérobies ; le renouvellement de cet oxygène nous est assuré par une partie de la végétation ; la terre permet aux semences de fructifier ; sans la couche dozone qui nous protège de rayons nocifs, nous ne serions pas là ; si la terre se trouvait un peu plus proche du soleil on grillerait, un peu plus éloignée, on gèlerait. Linclinaison de la planète commande les saisons, sa rotation donne les jours et les nuits en accord avec les rythmes circadiens. Le jeu des ondes est éblouissant. Regardons le fonctionnement du corps humain, son système hormonal complexe mais cohérent, son merveilleux cerveau servi par cent cinquante milliards de neurones, la délicate perception de nos cinq sens. Que dire des subtilités de la pensée, de lintelligence, de la conscience des hommes et des animaux. Tout cela, avec bien dautres merveilles de la nature que je ne cite pas ou qui méchappent ou que jignore, serait dû à un hasard aveugle, aurait surgi dune « poussière détoiles » sans avoir été ni voulu, ni prévu ni organisé ? Voltaire, dont tu admires lesprit critique et approuves le refus des dogmes religieux, a résumé cette évidence par ces vers célèbres que tu connais :
Lunivers membarrasse et je ne puis songer
Que cette horloge marche et nait point dhorloger
Comment peux-tu taffirmer athée ?
P.F. : Sur mon « athéisme », je mexpliquerai dans un instant. Avec Voltaire, je peux affirmer que lexistence de lunivers membarrasse. Cest une énigme qui me tracasse. Cette sorte dharmonie qui le caractérise (même si elle laisse à désirer dans bien de ses aspects
) et que tu viens en partie de décrire en te limitant à certains traits relatifs à notre planète et à la vie quelle porte, me pose problème. Tu aurais pu ajouter que « si la somme des densités des énergies quantiques dans lunivers avait été un peu plus grande que ce quelle est, laccélération de lespace aurait inhibé la formation des galaxies ; les étoiles, les planètes et la vie sur la Terre ne seraient alors jamais apparues ! » [2]. Je sais que « si la matière avait été régie par des lois même très légèrement différentes, le refroidissement de lunivers après le Big Bang aurait engendré un monde stérile, sans vie » [2] Ces données minciteraient, si je limitais ma réflexion à leur niveau, à clore la discussion, sur ce point au moins, et à accepter le principe dun « créateur ».
Sans aborder pour le moment laspect moral de ce que tu présentes comme une « création » divine, aspect dont il faudra que nous parlions, je me heurte à un obstacle : si lunivers a été créé, sil ne possède pas par lui-même les forces et les intelligences qui lui permettent de fonctionner et si le hasard et la nécessité, chers à Démocrite et à Jacques Monod, nont pu rassembler ici ou là, dans cet infini, sur notre planète entre autres, mais probablement ailleurs aussi, les éléments et les conditions qui ont permis à la vie dapparaître et de se développer, autrement dit si lunivers nest pas lui-même « Dieu » (mais pourquoi, alors, devrions-nous lappeler « Dieu » ?), bref, sil y a un créateur, doù sort-il ?
Si je naccepte pas que lunivers, à cause de la « perfection » de son fonctionnement (perfection technique - et toute relative - mais non morale, ce dont nous allons parler) existe par lui-même et si jen conclus quun Dieu-créateur est nécessaire, pourquoi devrais-je admettre que ce Dieu-créateur, encore plus « parfait », par définition, que lunivers quil aurait créé, existerait par lui-même, sans avoir été lui-même créé ? Pourquoi refuser à une énergie universelle intelligente non « divine » ce quon accepte dun Dieu-créateur que personne na jamais vu ? Doù ma modeste réponse à Voltaire :
Lhorloger membarrasse et je ne conçois pas
Que cet artiste existe et nait point de papa.
En expliquant lexistence de lunivers par celle dun Dieu-créateur on ne fait que déplacer le problème dun étage. Et détage en étage, lénigme subsiste
P.F. : Je pense que nous ne pouvons aller plus loin sur ce sujet. Je nai pas le droit de nier lexistence dun énigmatique « Grand Architecte de lUnivers », comme lappellent certains francs-maçons, mais je nai pas non plus de raison évidente, ni le droit, de laffirmer. Je ne sais pas. A propos dune intelligence et dune énergie créatrices éventuelles, ma position nest pas celle de lathéisme, mais celle de lagnosticisme. Le « thée » devant lequel je place mon « a » privatif est autre ; il désigne un « Dieu-dAmour-et-de-Justice » et cest de lui dont je voudrais que nous parlions.
Mais auparavant, je te propose de revenir sur la définition de la nature de ton Dieu et parler de la Trinité.
P.F. : Sauf erreur, le Dieu en lequel croient les chrétiens évangéliques est composé, comme celui des catholiques, de trois personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Cette trinité présente deux ambiguïtés ou contradictions.
Tout dabord, on comprend mal que, dune part, Dieu soit défini comme pur esprit et que, dautre part, seule lune des trois parties qui le composent soit appelée « Esprit » (Saint). Y a-t-il deux esprits en Dieu, lun qui serait la nature même de la totalité de la Trinité et lautre qui nen serait que lune de ses trois composantes ?
Papy : Ton discours prend un ton ironique qui ne me plaît pas du tout.
P.F. : Je nai nullement lintention, dans cet échange, de me moquer de tes croyances. Cest vrai que je le fais volontiers par ailleurs mais avec toi je veux seulement les soumettre à la Raison. Cette question sur lambiguïté de la Trinité, je me la posais déjà à lâge de dix ans, lorsque la monitrice de lEcole du Dimanche nous en parlait. Mon ingénuité de lépoque, tu le sais bien, me mettait dans la plus grande impossibilité de manier lironie. Ne peux-tu voir quil ne sagit que dune question que tout être qui réfléchit devrait se poser sans pour autant se comporter en persifleur ?
Papy : Cest vrai que la Trinité est un mystère. Ce nest pas le seul dailleurs parmi nos croyances. Nous acceptons le mystère. Tout nest pas explicable par la Déesse Raison. Un jour, Dieu « nous révèlera les choses cachées », comme il est dit dans sa Parole.
P.F. : Une des différences essentielles (mais pas la seule) entre le croyant et lincroyant est là. Le croyant donne la priorité à la croyance, quelle soit chez lui lobjet dun choix ou dun héritage ; il y adapte ensuite, tant bien que mal, sa logique, sa raison, sa morale, sa vision du monde, étant établi quon peut, comme en mathématiques, raisonner juste à partir dun postulat faux, alors que lincroyant raisonne dabord, sans a priori ni postulat et soumet ensuite tout article de foi à son esprit critique. Certes, les énigmes (je préfère ce mot à celui de « mystère » qui a une connotation religieuse) existent dans la nature ; mais celles-là simposent à nous. Le « mystère » de la Trinité, lui, ne simpose nullement. Il faut aller le chercher, artificiellement si je puis dire. Pourquoi croire a priori que ça existe ? Parce que cest écrit quelque part ? Rien ne prouve que ce « quelque part » dise ou soit la Vérité. Cest tellement évident que dautres, tout autant sincères dans leurs croyances que le sont les chrétiens, tout autant convaincus queux de posséder la Vérité, (révélée dans dautres Ecrits) considèrent que la définition de Dieu en trois parties est une grave insulte à sa personne. Tu as compris que je parle des musulmans et des juifs.
P.F. : La Raison est le bien le plus précieux de lhomme. Sil la perd, il nest plus rien. Mais pourquoi la traiter de Déesse ? Elle nimpose rien, elle propose. On est libre de lécouter ou de sen détourner. Pour ma part, japprécie cette formule du baron dHolbach : « Je nai quune faible lueur pour méclairer dans la vie, cest ma raison. Un théologien vient et me la souffle ».
Papy : Si la raison est le bien le plus précieux de lhomme, elle nen est pas le seul. Comptent aussi les émotions, les sentiments, le besoin dune spiritualité qui nest pas faite que de logique cartésienne. Ces aspirations de la nature humaine peuvent conduire la personne à opter pour des choix qui ne conviennent pas forcément à la raison. Tu connais le mot de Pascal :
Le cur a ses raisons que la Raison ignore.
Ton rationalisme mapparaît comme une doctrine « sèche », crue, dépouillée de tout caractère affectif et sentimental.
P.F. : Cest dommage et regrettable que nous puissions, comme incroyants, laisser cette impression ; vous vous trompez, croyants, si vous pensez « posséder le monopole du cur », pour reprendre une formule célèbre. Nous avons aussi nos sensibilités et nos émotions, seulement nous ne nous laissons pas guider par elles pour décider de ce qui nous paraît VRAI. Dans le délicat domaine de la recherche de la vérité, nous allons jusquà nous en méfier car leurs impulsions peuvent conduire sur le chemin de lerreur. Avant de donner
satisfaction à nos émotions, voire à notre félicité, il importe de distinguer le vrai du faux, quel quen soit le prix. Et pour répondre à Pascal, je dirai que lorsque les raisons du cur entrent en conflit avec la Raison, cest toujours la Raison qui a raison.
Je veux ajouter que vos croyances ne heurtent pas la seule raison. Certaines choquent, et plus outrageusement encore, la morale. Celle, par exemple qui affirme que Dieu a raison de laisser mourir de faim, chaque année, des millions denfants au motif quils paient le prix dun mauvais choix fait par « lhomme ».
Papy : Nous naffirmons pas quil ait raison. Nous disons quil a ses raisons que nous ne comprenons pas forcément.
P.F. : Cest la même chose Et il a sa morale aussi, bien différente de la nôtre !
P.F. : Mais revenons à la Trinité. La seconde ambiguïté que contient cette notion consiste à nous présenter un Fils éternel. Un fils arrive par définition après le père. Il a obligatoirement un commencement. Il nest donc pas éternel. Or, dans la Trinité, le Fils est partie intégrante de Dieu qui est éternel. Comment expliquer cela ?
Papy : On ne lexplique pas. Ça fait partie du mystère. Ny revenons pas.
P.F. : Daccord, revenons plutôt au Dieu dAmour et de Justice, celui qui, cette fois, fait de moi, si je puis dire, un athée.
Parce que lexistence de lunivers et de la vie vous convainc quil y a un créateur, vous le transformez aussitôt en un Dieu damour et de justice qui sest révélé à lhumanité envers laquelle il ne nourrit que des sentiments paternels. Je dis que vous navez pas le droit de franchir ce pas. Rien ne vous y autorise, bien au contraire.
Ce Dieu, omnipotent et omniscient qui serait en même temps Amour et Justice, cest limage que sen fait Monsieur Tout-le-Monde, la définition quen donne tout croyant (si lon exclut de rares exceptions que tu as évoquées plus haut qui en font un Dieu impuissant ou semi-impotent). Cest fou ce que lindividu éprouve de difficulté à distinguer lexistence éventuelle dun simple créateur, si lon peut dire, de celle dun Dieu qui sintéresserait avec miséricorde sinon amour au sort des êtres vivants de la planète Terre (et peut-être dautres ?)
Ici, cest à mon tour de te proposer de lobserver, justement, notre planète.
Sur quelles bases un « Créateur » qui serait en même temps un « Dieu-dAmour-et-de-Justice », sil existait, aurait-t-il bâti le sol sur lequel nous marchons ? Réponse : sur la base de plaques tectoniques mouvantes ! Avant, bien avant, dy installer les animaux et lhomme, il aurait prévu, voulu, et fait en sorte que ces plaques se heurtent entre elles. Il aurait su que plus tard ces entrechoquements auraient provoqué séismes et raz-de-marée meurtriers, dont les victimes se seraient comptées par centaines de milliers, plus probablement par millions, au cours des millénaires. Les volcans aussi étaient là, prêts à attendre les êtres vivants pour les griller vifs.
Je te pose la question : est-ce là une attitude damour de la part dun Dieu que vous appelez « père » ?
Papy : Euh Certains osent affirmer que Dieu prévoyait et préparait le châtiment dune humanité dont il savait à lavance quelle aurait choisi « le mal », mais moi, je ne peux aller jusque là et je reconnais que ta question membarrasse.
P.F. : Même si, moralement, on peut accepter lidée dériger une potence en vue de pendre un assassin en attendant quil commette son crime, il est inadmissible, le jour venu, de pendre en même temps que lui des innocents. Or, les millions de petits enfants et danimaux qui, au cours des millénaires, ont péri, souvent dans datroces souffrances, à cause de séismes, de tsunamis, déruptions volcaniques (auxquels ont peut ajouter les inondations, les cyclones, la foudre) ont-ils été, oui ou non, victimes dune injustice ? On peut le dire aussi dune large majorité dadultes.
Papy : Je dois reconnaître que oui selon les critères de valeur humains.
P.F. : Nous navons que ceux-là à notre disposition pour porter un jugement. Japprécie ta franchise, mais comment peux-tu continuer à prétendre que « Dieu est Amour et Justice » ?
Papy : Euh ..
P.F. : Et puisque nous venons dévoquer le fait que Dieu aurait pu prévoir à lavance le choix du mal par lhomme, jen profite pour souligner lune de vos croyances qui choque le plus ma raison et ma morale : Dieu aurait créé lhomme libre de choisir entre le bien et le mal, sachant à lavance, car il est omniscient, que celui-ci aurait choisi le mal. Un tel comportement me sidère.
Mais parlons de la vie, si merveilleuse dans son fonctionnement (sauf ratés, pas si rares que ça..), comme tu le soulignais tout à lheure.
Sur quelle base le « Créateur-Dieu-dAmour-et-de-Justice » aurait-t-il pensé, voulu, prévu et organisé la vie ? Tout simplement sur la base de la prédation. Quon soit homme, lion, limace ou virus, on ne peut vivre quau détriment dautrui. La vie, tant animale que végétale, exige quon tue. La viande de notre déjeuner provenait dun cochon qui a crié comme un enfant lorsquon la égorgé et si nous voulions devenir végétariens, il nous faudrait encore tuer une salade en larrachant à sa terre-mère.
Papy : Javoue que je navais jamais pensé à ça.
P.F. : Cest le moment de citer cette belle page dOriana Fallaci: « Un lion qui poursuit une gazelle, la mord au cou et la dévore, commet un acte de guerre. Un oiseau qui se précipite sur un ver, le saisit de son bec et lavale vivant, commet un acte de guerre. Un poisson qui dévore un autre poisson, un insecte qui mange un autre insecte, un gamète qui en poursuit un autre, commet un acte de guerre. Et une ortie qui envahit un champ de blé, également. Un lierre qui entoure un arbre et le suffoque, idem. La guerre nest pas une malédiction propre à notre nature : cest une malédiction inhérente à la Vie. On ne se soustrait pas à la guerre car la guerre fait partie de la Vie. Ceci est monstrueux, jen conviens. Tellement monstrueux que mon athéisme dérive principalement de cela. Cest-à-dire de mon refus daccepter lidée dun Dieu qui a inventé un monde où la Vie tue la Vie, mange la Vie. Un monde dans lequel pour survivre il faut tuer et manger dautres êtres vivants, quil sagisse dun poulet, dune moule ou dune tomate. Si pareille exigence avait été vraiment conçue par un Dieu créateur, je dis quil sagirait dun Dieu bien méchant. »[3]
Je préfère, pour ma part, voir dans lorigine de la vie le fruit dune force ou dune conjonction de forces intelligentes mais amorales plutôt que le résultat de la volonté expresse dun « créateur » qui, loin dêtre un « Dieu dAmour », ne pourrait être que méchant ou pour le moins immoral.
Que peux-tu dire à ce sujet ?
Papy : Rien. Je ne métends pas sur ce genre de considération. Ce que nous ne comprenons pas aujourdhui nous sera révélé un jour et tous les mystères séclairciront. Le Dieu que jaime, cest celui de la bible, celui qui a sacrifié son fils unique pour me sauver, me rendre heureux et me donner la vie éternelle au paradis.
P.F. : Tout dabord, je me demande comment on peut « aimer », comme tu crois le faire, un être qui na pas de corps et quon na jamais vu. Lamour naît dune rencontre charnelle. Cest le regard, le sourire, la voix, le toucher, léchange de mots qui font démarrer lamour. Cest la confrontation didées, léchange des sentiments, le partage des goûts qui le développe et lentretient. Comment peut-on parler damour envers un pur esprit quon ne voit pas, quon nentend pas, qui ne parle pas, qui na pas dodeur, qui na aucune consistance ?
Pour en venir au Dieu de la bible, je tavoue que lune des plus grandes incompréhensions à laquelle je me heurte est de constater quon puisse découvrir dans lancien testament la personnalité du Dieu qui nous y est présenté sans en rester estomaqué. Je suis désolé de te peiner, cher Papy, mais ton Dieu, celui de la bible, celui des juifs et des chrétiens, me révolte. Pardonne-moi daller au fond de ma pensée : il me dégoûte. Tu as compris que je veux dire : il me dégoûterait sil existait. Voilà un être qui noie toute une population, sans égard pour les enfants, les nourrissons et les animaux. Cest tellement horrible quil finit lui-même par le regretter. Il choisit le peuple dIsraël, qui ne vaut pas mieux que les autres, au détriment du reste de lhumanité quil voue à un profond mépris. Il ordonne et conduit des guerres dextermination (il se fait dailleurs appeler « Eternel des Armées »). Entre deux bouffées de fumée de graisse brûlée (il adore ça), il fait massacrer des peuples innocents. Un seul exemple : parce quun certain roi Amalek a créé quelques obstacles à la marche de « son » peuple, il ordonne, quatre siècles plus tard, que les descendants de ce trublion soient tous exterminés. Toute une population y passe. Un modèle de génocide. Ça vaut la peine que nous en lisions ensemble le récit, dans I Samuel XV. Ça te remettra en mémoire un chapitre des Ecritures que lon na certainement pas lu récemment dans vos assemblées.
Papy : On ne lit jamais ces pages dans nos réunions.
P.F. : Je sais, je sais...
Ouvrons donc ta bible au passage indiqué :
« Ainsi parle lEternel des Armées : Je me souviens de ce quAmalek fit à Israël, lorsquil lui ferma le chemin à sa sortie dEgypte. Va maintenant, frappe Amalek, et dévouez par interdit tout ce qui lui appartient ; tu ne lépargneras point, et tu feras mourir hommes et femmes, enfants et nourrissons, bufs et brebis, chameaux et ânes. Saül convoqua le peuple [....] marcha jusquà la ville dAmalek, [
] battit Amalek. [
] Il prit vivant Agag, roi dAmalek, et il dévoua par interdit tout le peuple, en le passant au fil de lépée » (Traduction louis Segond. Ed. 1942)
Je suis outré lorsque je relis ce texte (et combien dautres similaires dans lancien testament !) Comment peux-tu considérer que la bible est la « Parole du Dieu dAmour » ?
Comble de lignominie : Saül fut destitué par Dieu parce que, mû par quelque sentiment humain, il avait épargné la vie du vieux monarque au lieu de légorger comme Dieu le lui avait ordonné. Atroce.
Papy : Je nai rien à dire.
P.F. : Japprécie. Naturellement, mon indignation ne va pas au Dieu de la bible, qui na jamais existé. Je mindigne quon puisse prendre pour vrai pareil récit, en approuver le contenu, croire en un tel Dieu et dire laimer.
Papy : Pour qui possède le privilège dêtre un enfant de Dieu, davoir accepté Jésus dans son cur, davoir été racheté par son précieux sang, dêtre né à une vie nouvelle, tous ces mystères, petits ou grands, ces faits qui contrarient notre vision des choses ne comptent plus. Nous les laissons de côté dans lattente du grand jour où tout sera porté à la lumière. Ta raison, ton esprit critique taveuglent. Ils tempêchent de saisir la réalité qui consiste en la responsabilité de lhomme. Dieu a créé lhomme libre de choisir entre le bien et le mal et son plus grand désir était que soit fait le bon choix. Malheureusement, lhomme a écouté la voix de Satan, ce qui a entraîné sa perte. Dieu ny est pour rien. Tes raisonnements secs et rigides te cachent cet immense geste damour de Dieu qui, dans lobligation de satisfaire sa justice qui appelait la condamnation définitive de lhomme, a préféré payer à la place de celui-ci en sacrifiant son fils unique, cest-à-dire une partie de lui-même, pour le sauver.
P.F. : Je sais tout ça ; noublie pas que jai reçu ce conditionnement tout au long de mon enfance et de mon adolescence.
Papy : Oui mais tu nen as gardé quune connaissance théorique. Ton cur na pas été touché.
P.F. : Il a été touché, comme tu dis, sois-en assuré. Il la été dans les fragiles années de mon enfance. Ensuite, la Raison a pris le dessus. On a un tempérament mystique ou pas et tout se joue à ce niveau. Il sest avéré que cette fibre nest pas dans ma nature
Ton exposé sur la responsabilité de lhomme et sur lamour de Dieu mérite quelques remarques.
Quand tu parles du choix malheureux que lhomme aurait fait et, si je comprends bien, quil aurait pu ne pas faire, de quel homme parles-tu ?
Papy : De notre père à tous, Adam et de tous ses descendants après lui.
P.F. : Ainsi, parce quun homme, le premier, aurait fait le mauvais choix, toute lhumanité aurait été entraînée dans le mal ?
Papy : Exactement ! « par un seul homme le péché est entré dans le monde et par le péché la mort (...) ainsi la mort sest étendue à tous les hommes car tous ont péché » dit lEcriture. (Rom V 12).
P.F. : Nest-ce pas injuste ? Car non seulement, si les choses se sont passées comme tu le crois, les descendants dAdam se sont trouvés dans limpossibilité de faire marche-arrière et de revenir au choix du « bien » (la preuve, cest quil a fallu un sauveur et nous allons en parler) mais ils ont hérité de cette nature que vous appelez pécheresse et que je qualifie, moi, dégoïste, agressive, guerrière. Je le dis autrement, sous forme de question que je te pose : si Adam avait fait « le bon choix », que se serait-il passé ? Aurait-il acquis une nature différente caractérisée par le bien absolu, la perfection ? Aurait-il vécu, lui et ses descendants, sans la nécessité de tuer pour manger ? Et avec eux, les animaux ? Posséderions-nous un appareil digestif différent du nôtre ? En aurions-nous seulement un ? Vivrions-nous dans un autre monde, sans cette loi de la jungle qui régit la vie jusque dans le comportement des végétaux ?
Ni Adam, qui na pas existé, ni aucun homme, nont jamais « choisi » le mal. Nous trouvons le mal à la naissance, dans notre berceau. Ce « mal », légoïsme pour survivre, le meurtre pour vivre, linstinct guerrier, nous, les êtres vivants, lavons dans la peau sans quil résulte daucun « choix » de notre part. Quant au remède que tu indiques, il na pas fonctionné : deux mille ans après que Dieu laurait apporté, il ny a jamais eu autant de mal sur la terre.
Jajoute que sacrifier un innocent à la place de coupables nest pas un geste damour, et pas seulement pour la victime. Cest un acte dinjustice intolérable.
Papy : Notre privilège est de disposer dune entière liberté que Dieu nous laisse de choisir la régénération de notre nature pécheresse en acceptant le salut en Jésus et la nouvelle vie qui en découle. Il ne tient quà nous de faire ce choix.
P.F. : Lun de vos principaux arguments pour disculper Dieu de toutes les atrocités du monde consiste à présenter lhomme comme le grand responsable de tout le mal car Dieu lui aurait accordé le privilège de disposer de cette merveilleuse faculté de choisir qui sappelle la liberté, ce que nul noserait contester ou blâmer. Qui, en effet, oserait reprocher à quiconque, fût-il un Dieu, de donner la liberté et de la respecter ? Cet argument, qui veut placer la responsabilité du mal et de linjustice sur le dos de lhomme, apparaît tout à fait imparable, au point que bien des incroyants ne savent que répliquer. Mais en fait, il nest que trompeur car vous oubliez, chrétiens, que la liberté de chacun doit sarrêter là où commence celle dautrui. Cest cela aussi que votre Dieu oublie, ou plutôt quil oublierait sil existait. Les plus raisonnables des humains, pourtant pétris de faiblesses et dimperfections, ont quand même compris quil faut mettre des limites à la liberté. Votre Dieu, lui, ne la pas compris. Nous empêchons un récidiviste de réitérer son crime. Pas Dieu. Si quelquun déclare ouvertement son intention de profiter de sa liberté pour assassiner, nous faisons tout notre possible et nous ne sommes pas tout-puissants, nous pour essayer de len empêcher. Entrave à sa liberté ? Peut-être. Mais entrave nécessaire, bénéfique et morale. Votre Dieu, lui, laisse une liberté totale, débridée, à tous, y compris à ceux qui nen sont pas dignes, à ceux qui vont très loin dans lexercice délibéré du mal, sans même y mettre un frein. La liberté que Dieu respecte je le dis encore une fois : quil respecterait sil existait cest la loi de la jungle. Il laisse le gros manger le petit, chez lhomme comme chez lanimal, le fort briser le faible, la brute détruire linnocent, impunément, sans réagir, sans rendre justice, sauf en un au-delà tardif et imaginaire. Liberté ! Que de crimes le croyant autorise son Dieu à laisser se commettre en ton nom ! Tu prétends que « ce nest pas la faute de Dieu, mais celle de lhomme » ? Eh bien, je vais te surprendre : je suis daccord avec toi ! Mais ce nest pas parce quun Dieu respecterait je ne sais quelle liberté ; cest parce que, tout simplement, comme le dit si bien le Sage du psaume 14, « il ny a point de Dieu » !
A propos, cette liberté de choix entre le « bien » et le « mal », est-elle aussi lapanage de Dieu ? Pourrait-il choisir le « mal » ?
Papy : Cest impensable ! Dieu est le Bien personnifié.
P.F. : Ça veut donc dire que cette liberté-là nest pas si précieuse que cela puisque que Dieu peut sen passer. Cest donc un cadeau empoisonné quil aurait fait à lhomme, tout en sen dispensant lui-même ?
Jajoute que lhomme use de cette liberté qui lui a été imposée, par Dieu selon toi, par une nature amorale pour moi, en fonction dun système nerveux quil na pas choisi, lequel régit ses pensées et ses pulsions et dune éducation dans un milieu culturel quil na pas choisis davantage. Est-il vraiment « libre » ?
Encore un mot sur cette liberté de choix entre le bien et le mal. Doù vient le mal ?
Papy : Satan, qui était un « ange de lumière » sest révolté contre lautorité divine. Il est devenu lincarnation du mal et a tout fait pour entraîner les créatures divines dans son camp.
P.F. : Animaux compris! En y réussissant parfaitement semble-t-il Mais où Satan est-il allé dénicher le mal ? Il existait donc quelque part, ce mal ! Et qui la imaginé, inventé, programmé et créé ? Est-ce Dieu, le créateur de toutes choses ? Mais alors, il nest pas la bonté personnifiée, comme vous le prétendez ! Il serait même mauvais ! A moins que le mal soit apparu sans que Dieu y soit pour rien, tout à fait contre sa volonté ? Mais alors, il nest pas le tout-puissant créateur de toutes choses ! Comment gérez-vous cette contradiction qui, personnellement, me « torturait » déjà lesprit quand javais dix ans ? (et qui, évidemment, na plus aucun sens pour moi aujourdhui).
Papy : Je nai pas de réponse.
P.F. : Japprécie ta franchise.
Papy : Une chose cependant est sûre : rien nest irrémédiablement perdu. Tout peut être récupéré. Lhomme peut être sauvé. Ça ne tient quà lui, Dieu a tout prévu. Lhomme ayant choisi le péché, Dieu, dont la justice nadmet aucune défaillance, se voyait obligé de lexpédier en enfer pour le punir. Mais dans sa grâce infinie, il a décidé de payer à sa place.
P.F. : Je croyais avoir compris que les chrétiens ne croient plus à lenfer et que si, pour ceux de la génération de tes parents et pour certains jusquà la tienne, lenfer était réellement un lieu de souffrances morales et physiques, où lon grillait pour léternité sans même pouvoir espérer mourir, il était devenu aujourdhui, pour les chrétiens évangéliques, comme pour lensemble de la chrétienté, une simple privation du séjour au paradis sans autre souffrance que le poids éternel du regret davoir refusé le salut.
Papy : Cest exact. Notre doctrine a évolué sur ce sujet. La plupart dentre nous ne croyons plus à lenfer-four-crématoire-éternel. Seuls quelques-uns persistent à affirmer sa réalité.
P.F. : Les Droits de lHomme sont passés par là . Et « le feu éternel » promis par Jésus ?
Papy : Cest une simple image...
P.F. : Mais alors, les chrétiens évangéliques des générations qui vous ont précédés se trompaient lorsquils affirmaient, au nom de linfaillibilité des Ecritures-quil-faut-prendre-au-pied- de-la-lettre, lexistence dun enfer-four-crématoire où limpénitent grillait dans datroces souffrances léternité durant ?
Papy : Oui.
P.F. : Sils se trompaient hier en avançant des Vérités sacrées, quils croyaient avérées et éternelles, tirées de la « Parole de Dieu », ils peuvent tout autant se tromper aujourdhui en affirmant des Vérités qui ne seraient que des vérités du moment ? Cest-à-dire des mensonges ?
Papy : Nous ne sommes que des humains, nous pouvons nous tromper dans linterprétation des Ecritures.
P.F. : Cest bien ce que je dis. Vous pouvez donc vous tromper encore et donc tromper votre monde, même si ce nest pas votre intention en affirmant des vérités que vous pourrez reconnaître demain comme des erreurs. Pourquoi alors vous croirait-on ? Cest ainsi, pour ne citer que quelques exemples banals, que hier vous condamniez toute forme de divorce, refusant « la communion » au divorcé. Aujourdhui, vous ladmettez à la Cène. Hier le cinéma était un péché. Ce nest plus le cas aujourdhui (sauf pour quelques vieilles bigotes). Idem pour la masturbation chez ladolescent. Quand la télévision est apparue, elle fut condamnée car elle introduisait « le monde dans la maison ». Maintenant, vous avez tous la télé. Mais aujourdhui leuthanasie, lhomosexualité, lavortement, le Pacs, les relations sexuelles hors du mariage restent pour vous dhorribles iniquités (quoique une tendance à accepter le concubinage semble se faire jour). Il y a tout lieu de prévoir que ça changera dans une génération. Ne proteste pas : ceux de la génération qui ta précédé protestaient aussi lorsque certains éléments avancés parmi eux disaient que le maquillage des femmes, le port par elles de pantalons, le fait de voir des films et bien dautres comportements aujourdhui normaux, devaient être permis. Leur protestation était bien imprudente ; aujourdhui ils auraient tort. Ne prends pas le risque quils ont pris. Il est amusant par ailleurs de constater que ces changements sont acceptés en même temps quest affirmée limmuabilité des vérités et de la morale du christianisme, Dieu ne variant pas dun pouce dans ses exigences. Chez les catholiques, les changements entre hier et aujourdhui sont spectaculaires. Cest même le grand écart. Exemple : auparavant la volonté de Dieu exigeait quils dressent des bûchers pour les hérétiques ; maintenant le même Dieu (qui ne varie pas) leur demande de sopposer à la peine de mort.
Parlons maintenant de la possibilité dobtenir le salut par lacceptation personnelle du sacrifice de Jésus pour sauver lâme du pécheur. Qui a droit à ce salut ?
Papy : Mais tout individu, évidemment !
P.F. : A condition, bien sûr, quil soit informé de ce sacrifice et de cette chance qui soffre à lui, je suppose ?
Papy (un peu hésitant) : Euh... Oui oui, bien sûr...
P.F. : Je comprends ton hésitation. Cette information est loin dêtre arrivée et darriver partout. Prenons lexemple des centaines de milliers, des millions peut-être, dêtres humains qui ont vécu sur le continent américain, de la Terre de Feu à la baie dHudson, entre le moment du sacrifice rédempteur de Jésus et celui où les premiers chrétiens - pas très chrétiens dailleurs selon vos critères [4] - sont venus les informer que Jésus était mort pour eux. Cinquante générations dAmérindiens ont été ainsi privées de la possibilité de se convertir, de « naître de nouveau » et davoir été ainsi régénérés et rachetés de leur nature pécheresse héritée de leur ancêtre Adam (au fait, Adam était-il bronzé comme eux ou blanc de peau comme toi et moi ?). Dieu aurait ainsi voulu que pendant quinze siècles cette extraordinaire manifestation de son amour reste cachée à des peuples entiers pendant quà dautres, dans nos pays, cet exploit soit quotidiennement rappelé. Ny aurait-il pas là, si cette histoire était vraie, une grande injustice, une énorme discrimination ? Encore le cas des Amérindiens nest-il quun exemple. Multitude dautres peuples sont restés, des siècles durant, dans lignorance de cet extraordinaire événement qui a vu un Dieu se sacrifier lui-même pour le bonheur présent et futur de lhumanité. De nos jours même, ceux qui nont jamais entendu parler de Jésus se comptent par centaines de millions (un milliard daprès le Vatican ; mais ce chiffre est certainement au-dessous de la réalité). En ne considérant que la masse des musulmans plus dun milliard dindividus on sait combien peu dentre eux sont « correctement » informés, si toutefois ils en ont entendu parler, sur « la personne » et « luvre » de Jésus.
Papy : Dieu sait ce quil fait. Il a certainement un plan pour ceux qui nont pas, ou pas eu, le privilège de connaître lévangile. Cest son affaire, pas la nôtre.
P.F. : Tu veux dire quil peut recevoir au paradis des « âmes », comme vous dîtes, qui nauraient pas été régénérées par la nouvelle naissance, vécue au pied du Calvaire ?
Papy : Je le répète, ce nest pas mon affaire, cest celle de Dieu qui sait ce quil fait.
P.F. : Alors, pourquoi faites-vous tant de propagande pour que les gens se convertissent ? Si lignorance peut sauver, quel but peut avoir lévangélisation si ce nest de créer loccasion de refuser de croire et dêtre en conséquence condamné ? Ce sont des questions comme celles-là, restées sans réponse, ces contradictions, ces injustices et absurdités qui contribuent à nous faire douter de la véracité de toute cette histoire et nous poussent à lincrédulité.
Cette décision du grand Dieu de lunivers de se transformer en homme, de venir parcourir quelque temps le sol dun petit coin de notre planète, dy souffrir avant dy sacrifier momentanément sa vie pour satisfaire son besoin de justice et damour en voulant sauver lhumanité, cet acte qui a vu, selon la formule de Diderot, « Dieu sacrifier Dieu pour apaiser Dieu » sest finalement soldé par un échec. La montagne a accouché dune souris.
Papy : Comment peux-tu blasphémer ainsi ?
P.F. : Le mot « blasphème » na aucun sens pour moi. Je ne fais quexercer mon esprit critique en essayant de raisonner logiquement et en restant autant que possible intellectuellement honnête. Pourquoi dis-je que la formule a fait « pschitt » ?
Le sacrifice de Jésus na de sens et dutilité que dans la mesure où il permet à lindividu de naître de nouveau. Cest en tout cas ce que vous mavez enseigné (je parle votre langage). Pour accéder à ce privilège qui sapparente à une initiation et a pour effet, non seulement de procurer au converti une vie éternelle dans la félicité du paradis (qui lui, contrairement à lenfer, na pas été supprimé. Mais au fait, où est-il situé dans lespace, le paradis ? Dans notre galaxie ? ) mais aussi de lui assurer le bonheur sur terre, il faut remplir certaines conditions. Je vais les rappeler même si tu les connais mieux que moi.
Tout dabord il faut avoir entendu « le message de lévangile ». Ce nest pas le cas de tout le monde, loin de là ; en Indonésie par exemple, ce ne doit pas être fréquent. En Papouasie-Nouvelle-Guinée non plus. Tous nont pas la chance dassister aux croisades de Billy Graham.
Ensuite, il faut comprendre ce message. Il nest certes pas très compliqué mais il nest pas sûr du tout quil soit à la portée de bien des individus primaires, illettrés, ignares, incultes, sans parler des idiots, des simplets et de toutes sortes de dérangés du cerveau. Ça fait beaucoup de monde. Des millions et des millions.
Si lon remplit cette deuxième condition, il faut alors se reconnaître pécheur et même doublement pécheur. Pécheur « inné » pour avoir reçu lhéritage du péché dAdam et pécheur « par acquis » pour avoir commis soi-même des tas de péchés. Cette reconnaissance doit saccompagner de profonds remords et regrets qui entraînent limploration du pardon divin. Il suffit alors à lindividu de croire que Jésus est mort pour lui, personnellement, pour payer à sa place le prix de ses péchés et régénérer sa nature pécheresse. Il na plus quà accepter ce salut pour devenir « une créature nouvelle » comme dit la bible.
Il sagit là dune expérience mystique, vécue dans une intense émotion qui peut laisser une marque indélébile et conférer au né de nouveau le sentiment dêtre différent sinon supérieur au reste de lhumanité. Et pour cause : il est devenu, comme vous dîtes, un « enfant de Dieu ».
Mais pourquoi ai-je parlé déchec ?
Les démographes évaluent à une centaine de milliards le nombre dêtres humains qui ont peuplé la planète, en se limitant à lhomo sapiens. Sur ces cent milliards, combien ont vécu cette expérience, combien sont nés de nouveau ? Il faut déjà éliminer tous ceux les plus nombreux à coup sûr qui ont précédé la vie de Jésus et sa mort rédemptrice. Il faut ensuite éliminer, au cours des vingt derniers siècles, les masses asiatiques et africaines qui nont été très partiellement évangélisées que tardivement. Quant aux Amérindiens, nous en avons déjà parlé.
Mais il faut aussi éliminer, dans nos propres pays « chrétiens », les masses catholiques et protestantes que, jusquà ta génération, les chrétiens évangéliques envoyaient allègrement en enfer car chez eux on ne prêche ni nenseigne la conversion personnelle, ou nouvelle naissance, sans laquelle, comme Jésus la dit à Nicodème, on ne va pas au paradis (Jean III, 3). Idem pour les orthodoxes. Là encore il y a de quoi dénoncer une discrimination : on a infiniment plus de chances de naître de nouveau si lon est citoyen dun pays britannique, nord-américain ou scandinave que si lon vit dans un pays latin ou slave. Ne parlons pas des autres.
Le christianisme nest que lécriture dune petite page de lhistoire dune petite partie de lhumanité.
Le sacrifice de Jésus ne sert à rien aux musulmans, aux bouddhistes, aux shintoïstes, aux hindouistes, aux confucianistes, aux animistes qui se comptent, au total, par milliards. Tous en enfer ? Sans que ce soit leur faute ! Par ignorance ! Quel gaspillage !
Aujourdhui (2008), notre planète compte six à sept milliards dhabitants. Combien dentre eux profitent du sacrifice de Jésus en étant nés de nouveau ?
Papy : Dieu seul le sait. Lui seul sonde les curs et les reins. Nous ne tenons pas de statistiques. Cela ne nous intéresse pas.
P.F. : On a quand même une idée sur la question. Je ne crois pas que quiconque oserait soutenir que les born again soient plus nombreux que six cent millions dans le monde. Ce nombre est même certainement très exagéré. Mais retenons-le comme bon. Ça fait moins de 10 % de sauvés ! Et nous sommes à lépoque de la télé, dinternet, de la profusion de dollars pour les missionnaires, toutes choses qui favorisent la propagande de votre part vers le Tiers Monde et ailleurs; que dire de la proportion des sauvés dans les siècles passés ? Elle est encore plus faible, bien plus faible.
Oui, cette extraordinaire opération qui a vu le grand Dieu de lunivers quitter son trône pour venir sauver et régénérer ses créatures en mourant sur une croix infâme, entre deux malfaiteurs, méritait un meilleur résultat que ça. Toute entreprise qui se solderait par un tel bilan crierait à léchec.
Papy : Je le répète : ce problème concerne Dieu. Il règle ses affaires avec chacune de ses créatures comme il lentend. Tous tes raisonnements ne peuvent mébranler car ma relation avec Dieu est vivante. Grâce à ma foi, je vis dans le bonheur le plus complet ; la félicité du chrétien, du vrai chrétien, est pour nous la preuve absolue que nous sommes dans le Vrai.
P.F. : A moins dun égoïsme raffiné, avons-nous le droit, dans ce monde de souffrance, de misère et dinjustice, dêtre heureux ? Je ne sais plus qui a dit « tant quun enfant souffrira, je ne pourrai être heureux ». Mais accordons-nous quand même cet égoïsme. Pourquoi voir dans ta félicité je ne sais quelle preuve que tes croyances sont vraies ? Tout à lheure jai dit que vous navez pas le monopole du cur, je dis maintenant que vous navez pas celui du bonheur. Je nai pas de raison de douter du témoignage de ceux qui disent avoir atteint le nirvana ou le Feng shui et dêtre arrivés ainsi au degré suprême de la sérénité. Leur félicité est peut-être supérieure à la vôtre. Elle ne doit rien à Jésus et détruit ainsi votre croyance quen lui seul se trouve le bonheur. Il existe bien dautres raisons ou façons dêtre heureux, surtout dans nos pays nantis. Cest certainement plus difficile, avec ou sans Jésus, pour ceux qui ont le ventre creux ou sont malades sans aucun espoir de recevoir le moindre soin..
Papy : Ces malheureux sont présents dans nos prières.
P.F. : Force est de constater que les effets de vos prières sont plutôt lents. Jour après jour, année après année, décennie après décennie, siècle après siècle, des millions denfants innocents continuent à mourir faute de nourriture ou de soins. Si elle a tendance à diminuer un tout petit peu, la misère du Tiers Monde reste démesurée. Vos prières montrent leur totale inefficacité. Comment en serait-il autrement ? Si Dieu voulait mettre fin à cette dramatique situation, il nattendrait pas que vous le lui demandiez. Mais, avec ou sans vos prières, il ne le fait pas, il ne le fera pas. Comment ne pas voir là quun Dieu-dAmour-et-de-Justice, ça nexiste pas ?
A propos de la prière, je voudrais souligner labsurdité de lun de ses aspects. Je parle de « lun de ses aspects » car je sais davance que tu vas me dire quelle en comporte plusieurs.
Papy : La prière, cest vrai, revêt plusieurs formes. Elle na pas grand-chose à voir avec un texte appris par cur et récité mécaniquement, ainsi que procèdent les catholiques avec leur Pater Noster ou leur Ave Maria. Prier, pour nous Enfants de Dieu, cest garder le contact avec Lui, cest répandre notre âme en sa présence, cest jouir de sa communion, cest le louer pour les bienfaits quil nous accorde. Cest
P.F. : Comment peux-tu louer Dieu pour des bienfaits accordés aux nantis que nous sommes, citoyens de pays riches, bien nourris, logés, soignés, protégés par des lois, alors que des multitudes vivent dans la misère et langoisse, enfants qui travaillent douze ou quatorze heures par jour, fillettes violées, esclaves exploités, populations entières privées deau potable, livrées au paludisme, à la drépanocytose, au sida, à la faim, femmes battues, innocents emprisonnés ou torturés, jeunes hommes envoyés au combat. Louer Dieu pour soi-même, quel égoïsme !
Mais il y a un autre aspect de la prière que tu nas pas cité.
Papy : Jallais le faire quand tu mas coupé la parole. La prière est aussi un moyen dexprimer à Dieu nos besoins et de solliciter sa grâce et ses faveurs.
P.F. : Cest bien de ça dont je voudrais parler. Vous exprimez vos besoins et desiderata à Dieu alors quil les connaît parfaitement. La prière-requête (cest sa forme la plus courante) consiste à demander à Dieu soit de faire ce quil a déjà décidé de faire : cest donc une démarche inutile, soit de faire le contraire de ce quil a décidé en espérant quil changera davis, ce qui dénoterait un caractère bien indécis et bien influençable pour un Dieu. En réalité, les requêtes et les louanges à un Dieu sont les séquelles dun passé social au cours duquel les maîtres avaient droit de vie et de mort sur leurs sujets. Ceux-ci ne possédaient que la possibilité de supplier le tyran de concéder ses faveurs. Il les accordait ou les refusait sans être tenu de donner ses raisons et dans tous les cas lesclave remerciait humblement. La prière du croyant prolonge cette mentalité.
Papy : Ta raison, ton esprit critique, te poussent à refuser toute forme de croyance religieuse. Mais des esprits autrement plus rationnels que toi, des scientifiques de haut niveau, de grands savants sont croyants. Certains ont connu la nouvelle naissance et vivent en bons chrétiens. Comment expliques-tu cela ? Et crois-tu que lévangile serait encore dactualité deux mille ans après sil nétait que mensonge et tromperie ?
P.F. : La longévité dune religion na jamais signifié quelle soit porteuse de Vérité. En vieillissant, un mensonge ne se transforme pas en vérité. La religion des Egyptiens a duré des millénaires. Il nen reste rien. Le mithraïsme, né bien avant le christianisme, a duré dix-neuf siècles. Il na même plus un seul adepte aujourdhui. Et pourtant, nous avons bien failli être tous mithraïstes. Tu connais la parole dErnest Renan : « Si le christianisme avait été frappé de quelque maladie mortelle, lEurope eût été mithraïste ». Las Vergnas dit la même chose avec humour : « Entre Jésus et Mithra, la course fut décisive pendant trois cents ans. Puis Jésus doubla son rival et arriva seul au poteau. Lautre avait dérapé dans le tournant de lHistoire ». Comme Jésus, Mithra était censé avoir existé, être mort pour sauver les hommes, était ressuscité trois jours après, monté au ciel etc.. De ces croyances qui ont fait vibrer le cur de centaines de milliers dhommes, il ne reste plus que quelques mithriums en ruines et Mithra est rangé au placard des mythes. Pour se convaincre quune religion peut durer longtemps, très longtemps, bien davantage que le christianisme et nêtre point la Vérité, il suffit de se référer au judaïsme qui, après trois millénaires, reste pour vous chrétiens évangéliques et pour le christianisme en général, pour lislam aussi une religion de lerreur.
Quant aux savants qui croient, il faut bien sûr en parler. Je voudrais le faire au travers dun exemple, celui de lhomme de science de réputation mondiale quest Herman Branover. Il est lun des savants contemporains les plus éminents, le plus grand spécialiste international de la magnétohydrodynamique. Eh bien cet homme accepte pour vraies des croyances religieuses que quiconque ne partageant pas sa religion pourrait tenir pour complètement absurdes. Cest un fervent adepte de la religion israélite. Il se définit lui-même comme « un juif craignant Dieu, qui respecte les commandements (mitsvot) les plus stricts comme les plus aisés, qui vit selon les mitsvot de la Thora ». [5] Si, en matière de foi religieuse, lattitude des grands cerveaux devait constituer une référence pour des ignares tels que moi, je devrais me convertir au judaïsme si je décidais de suivre lexemple de Branover, mais il faudrait que jaille vers lislam si je choisissais tel autre savant, ou vers le catholicisme, ou chez les Mormons ou les Témoins de Jéhovah ou les Antoinistes, car il y en a partout et tous se trompent, sauf un si la Vérité existe. Pourquoi celui-ci serait-il chrétien évangélique plutôt que mormon ou bouddhiste ? Heureusement, il y a aussi des scientifiques et des savants chez les incroyants ; je pense même que cest là où il y en a le plus.
Comment un être humain intelligent, doué de raison, sensé, équilibré, peut-il prendre pour vraies des affirmations qui heurtent la logique et la morale ? Faiblesse ? Paresse ? Lâcheté ? Confort moral ? Habitude ? Routine ? Impossibilité de se défaire dun conditionnement subi depuis lenfance ? Pression de la famille, de lentourage ? Influence charismatique dune personne, pas forcément un gourou ? Peur de la mort ? Angoisse existentielle ? Refus de se reconnaître mortel ? Jen passe, jen oublie et jen ignore. Ou tout simplement, nature mystique qui a besoin de se nourrir de transcendance ?
Lorsque Herman Branover entre dans sa synagogue, il laisse au vestiaire, en même temps que sa blouse blanche de scientifique, sa raison, sa logique, son esprit critique et il sabandonne à lirrationnel le plus complet. Lorsquil sort de là, quil remet sa blouse et revient dans son laboratoire, il nest plus guidé par le moindre élan mystique et il naccepte aucune contradiction ou absurdité dans ses savants calculs.
Papy : Etudie les prophéties bibliques et leurs réalisations et tu comprendras quelles puissent représenter pour nous une preuve que la bible dit la Vérité.
Il y a dabord, chez les prophètes de lancien testament, les prophéties qui concernent la naissance, la vie, la mort et la résurrection de Jésus. Nous verrons ensuite celles qui regardent Israël.
Michée prédit que de Bethléem sortira celui qui dominera Israël, et Jésus naît à Bethléem ! Esaïe prédit que la jeune fille sera enceinte, quelle enfantera un fils et lui donnera le nom dEmmanuel, et la vierge Marie donne naissance à Jésus ! Zacharie annonce larrivée dun roi juste et victorieux qui vient monté humblement sur un âne, le petit dune ânesse, et Jésus entre à Jérusalem sur un ânon ! Zacharie nous dit quun certain jour il ny aura plus de marchands dans la maison de lEternel des Armées, et Jésus chasse les marchands du temple ! David écrit que celui-là même avec qui il était en paix, qui avait sa confiance et partageait son pain a levé le talon contre lui, et Judas trahit Jésus ! Zacharie, pardon, Jérémie, parle dun salaire de trente sicles dargent pesé et jeté dans la maison de lEternel pour un potier, et Judas jette les trente pièces dargent dans le temple, argent qui servira à acheter le champ du potier ! Esaïe raconte lhistoire dun serviteur qui livre son dos aux coups, qui reçoit des crachats, et les soldats frappent Jésus et crachent sur lui ! Le même Esaïe voit que le même serviteur maltraité et opprimé na « point ouvert la bouche », et Jésus, devant le souverain sacrificateur, garde le silence et ne répond rien ! Lauteur du psaume XXII a les mains et les pieds percés, ses vêtements sont partagés, sa tunique tirée au sort. Cest exactement ce qui arrive à Jésus ! Je pourrais continuer avec la boisson au vinaigre, lobscurcissement de la Terre en plein jour, le déchirement du voile du temple, le respect des os, la mise au tombeau avec les riches, la résurrection. Enfin, la rédemption y est nettement annoncée par Esaïe : « Ce sont nos souffrances quil a portées, cest de nos douleurs quil sest chargé (...) il était blessé pour nos péchés, brisé pour nos iniquités. Le châtiment qui nous donne la paix est tombé sur lui et cest par sa meurtrissure que nous sommes guéris. LEternel a fait retomber sur lui liniquité de nous tous (...) parce quil a été mis au nombre des malfaiteurs, parce quil a porté les péchés de beaucoup dhommes et quil a intercédé pour les coupables » (Es. LIII)
Ny a-t-il pas de quoi être convaincu ?
P.F. : Commençons par parler de ce chapitre cinquante-trois dEsaïe. Le prophète y raconte lhistoire dun serviteur sans beauté ni éclat, au visage défiguré au point dêtre un sujet deffroi pour les autres, habitué à la souffrance, quon vilipende, humilie, dédaigne, abandonne, frappe, brise, blesse, châtie, meurtrit, opprime, avant de le mettre à mort. Tout ça à la place des pécheurs pour qui il livre sa vie en sacrifice. Après quoi il renaît, prospère, monte, sélève bien haut, ferme la bouche à des rois, et partage un butin avec des puissants. Et je devrais me dire, en lisant ce conte : « Bon Dieu ! Mais cest bien sûr ! Cest lhistoire de Jésus racontée à lavance ! Ce ne peut être que de lui quil sagit ! ». Et je devrais, évidemment, crier à la prophétie miraculeuse, à la preuve rigoureuse et absolue que Dieu mindique là, sans ambiguïté, que sa Parole est la Vérité. Je lai déjà dit : le croyant croit dabord (en loccurrence au fait que Jésus a subi le supplice du Calvaire à la place du pécheur) et il trouve ensuite la confirmation que cela est vrai dans un récit antérieur qui évoque une histoire semblable. Combien de situations se sont produites, depuis que le monde est monde, qui ressemblent à des récits réels ou fictifs écrits bien avant quils se produisent ! A un détail près dans le cas qui nous intéresse : le retour à la vie nest possible que dans le récit imaginaire dEsaïe, pas dans la réalité.
Comment ne pas voir que loin de représenter des prédictions dévénements à venir, ces « prophéties » ne sont que des références auxquelles se sont accrochés les narrateurs de la vie de Jésus pour nourrir son histoire ? Elles nont pas prévu les faits, elles ont contribué à fabriquer le récit. Elles ont même provoqué linvention de données historiques qui nen ont jamais été. Cest ainsi par exemple que dans le seul but de faire réaliser une « prophétie » de Jérémie, lauteur de lévangile dit de Matthieu invente un massacre de tous les enfants de moins de deux ans par Hérode complètement ignoré par lHistoire et même par les trois autres évangélistes. Un tel mini génocide, sil avait été réel, naurait pas manqué dêtre signalé par les auteurs contemporains, à commencer par Flavius Josèphe. Le même « Matthieu » invente une inutile fuite en Egypte, simplement pour donner raison à Osée qui a écrit : « Jai appelé mon fils hors dEgypte » !
Je veux ajouter que bien de ces « prophéties » sont boiteuses : Le Jésus des évangiles ne domine pas Israël comme le dit la « prophétie » de Michée qui sert à désigner à lavance Bethleem comme lieu de naissance ; ce nest pas une vierge quEsaïe déclare enceinte, mais une jeune fille. Une jeune fille nest pas forcément vierge ; le fils que la jeune fille met au monde sappelle Emmanuel, celui que la vierge Marie aurait engendré se nomme Jésus; celui qui monte un âne chez Zacharie arrive en roi victorieux. Ce nest pas en tant que roidIsraël que Jésus serait entré à Jérusalem et le destin quil y aurait trouvé na rien de victorieux. Quant à la « prophétie » relative aux trente pièces, elle est attribuée à Zacharie alors quelle vient de Jérémie (doù sans doute ton hésitation lorsque tu las citée) : erreur grossière dans la Parole « divinement inspirée jusque dans ses moindres détails ».
Papy : On peut toujours tout contester, tout rejeter, tout critiquer. Pour nous, ces prophéties sont révélatrices de la véracité des Ecritures. Lévidence est encore plus marquée si lon considère les prophéties relatives à Israël. Le retour des juifs en Palestine et la reconstitution de lEtat dIsraël étaient indiqués à lavance dans la bible et ils se sont réalisés parfaitement.
P.F. : Il faut commencer par remarquer que ces prophéties ne viennent pas du nouveau testament, et pour cause : les récits quil contient se déroulent (ou sont censés se dérouler) avant la diaspora. Les textes auxquels tu fais allusion ne se trouvent que dans lancien testament et manquent le plus souvent de précision. Ils ne portent sur un point précis que lorsquils évoquent le retour au pays après la déportation à Babylone.
Israël et Juda, puis Juda seul, ont connu à plusieurs reprises des émigrations ou des déportations : en Egypte, en Assyrie, en - 734, - 725, - 720 ; à Babylone en - 597 et - 587 ; en Egypte en - 319, à Rome en - 192 et - 188 ; à quoi sajoute une importante diaspora commerciale dans tout lempire romain ; à Rome encore en - 57. A cela sest ajouté le « transport » par milliers de juifs dans diverses partie de lempire des Lagides et des Séleucides, l« installation » de cent mille juif en Cyrénaïque par Ptolémée, la fondation de colonies juives en Phrygie et en Lydie par Antioche le Grand. Il y avait eu aussi une émigration en Egypte lors de la prise de Jérusalem par Nebucadnetsar et en Egypte encore, à Lemtopolis, en 160. On trouvait avant notre ère des juifs chez les Parthes, à la cour dArtaban, en Séleucie, à Damas, à Ephèse, Tarse, Pergame, en Thessalie, en Béotie, en Macédoine, en Etolie, en Attique, à Corinthe et dans lîle de Cos.
Tous les passages bibliques relatifs à ces diaspora « sur toute la surface de la terre », sans quelles aient été pour autant précisées, ainsi que lévocation des retours au pays quelles appelaient, ont été écrits après les événements et tout ce quon appelle « prophéties » concernant le « retour » en Palestine :
- ou bien évoquent les retours qui ont eu lieu , en les présentant comme ayant été écrits à lavance, en particuliers les grands retours de 622 et de 538,
- ou bien expriment le vu que les diasporas existantes au moment où leurs auteurs écrivaient prennent fin. Elles ont été écrites à des périodes très diverses qui recouvrent les différentes diasporas énumérées plus haut.
Les juifs de la dernière diaspora (+ 70 et + 135) et dautres qui ont suivi, se sont appliqués à eux-mêmes, à titre « prophétique » des pages de lancien testament qui navaient pas été écrites en pensant à eux et qui ne les concernent pas. Ils ont cru, avec une foi sans faille, que leur Dieu les ferait revenir au pays. [6]
Quand on répète inlassablement, année après année, génération après génération, siècle après siècle : « Lan prochain à Jérusalem ! » on finit par y aller ! La foi, qui est un phénomène humain et non miraculeux ou « divin », peut réaliser des exploits extraordinaires. Dans le cas des juifs, couplée à lénorme complexe de supériorité dérivé de la notion de « race élue », cette foi, cumulée au cours des siècles, a donné naissance au sionisme et abouti à un retour en masse des juifs en Palestine, ensuite à la formation dun Etat. Il sagit dun phénomène sociologique et politico-religieux dune consistance originale et exceptionnelle, mais nullement « miraculeuse ».
Papy : Pour nous, ces événements sont suffisamment parlants et ils sont liés au prochain retour de Jésus dont nous voyons les signes annonciateurs, clairement indiqués dans le chapitre vingt-quatre de Matthieu, que sont la généralisation des guerres, de la violence, de la corruption, des catastrophes naturelles et autres.
P.F. : Concernant votre croyance en un retour de Jésus, des questions se posent.
Tout dabord, au sujet de limminence de lévénement. Les passages du nouveau testament qui annoncent ce retour le présentent comme imminent au moment où ils sont écrits. Paul en parle pour lui-même et les siens: « Les morts en Christ ressusciteront premièrement. Ensuite, nous les vivants(
) serons tous ensemble enlevés avec eux sur les nuées, à la rencontre du Seigneur dans les airs ». Comment peut-on appliquer à lactualité un rêve que des hommes ont en vain caressé voici vingt siècles ? Leur attente, pourtant promise au succès par Dieu qui inspire la plume de Paul, sest avérée une illusion. Et vous la reprenez à votre compte ? Jentends dire que dans certains milieux évangéliques en Italie on a renoncé à prêcher limminence du retour de Jésus qui est ainsi renvoyé aux calendes grecques. Ça marque déjà un progrès
Ce retour de Jésus sopèrera « de la même manière » que son ascension, nous précise lauteur des Actes, cest-à-dire derrière un nuage et Paul confirme que la rencontre aura lieu « sur des nuées », « dans les airs ». Comment accepter pareille fable ? Cette croyance que vous entretenez me rappelle le mot dErnest Renan : « Lestomac dun croyant digèrerait des pierres ». Paul et les ignorants auxquels il sadressait ne savaient pas quil ny a, dans lunivers, ni « haut » vers lequel on peut « monter » ni « bas » vers lequel on peut « descendre ». Le « haut » des chrétiens évangéliques dici est le « bas » de vos frères dAustralie. Cette ascension de Jésus sans combinaison spatiale (pour aller où ? A quelle vitesse ? Hors de notre système solaire ? Hors de notre Galaxie ?) est le reflet de la méconnaissance totale de la structure et des lois du cosmos et de lespace-temps par les auteurs sacrés des Ecritures, pourtant divinement inspirés. Dans le monde catholique, lascension de Jésus a mis dans lembarras plus dune autorité religieuse (par rapport à vous ils ont en plus le souci de justifier lassomption de Marie !) : le chanoine Goossens, ex-professeur de dogme au grand séminaire de Gand estime, par exemple, que « certaines vérités révélées sont formulées dans le cadre de conceptions définitivement mises au rancart par les sciences naturelles » [7]. Pour lui, lascension est simplement « la fin de la présence visible de notre Sauveur sur la terre » [7]. Pour dautres, comme le « Père » Renié, auteur dun « Manuel dEcriture Sainte », Jésus a joué le jeu des apparences par un mouvement local dans les airs. Il sest, par condescendance, conformé à lastronomie erronée du temps [7]
Enfin, sous quelle forme apparaîtra Jésus à son retour ? Le pur esprit quil est en ce moment en tant que Dieu, partie de la Trinité, se matérialisera-t-il à cette occasion ? En être humain encore une fois ? Dans ce cas, avec quels vêtements ? La fameuse tunique, récupérée pour la circonstance ? En sandales, comme aux jours de la Palestine ? Vous aimez chanter :
Voir mon Sauveur face à face
Voir Jésus dans sa beauté
De quelle « face » sagit-il ? Une face humaine ? Avec un regard doux ou bien pénétrant, un sourire à la dentition parfaite ?
Papy : Je nen ai aucune idée et jattends ce jour avec une confiance totale.
P.F. : Le plus naturel des réflexes ne devrait-il pas pousser un esprit curieux à y penser à lavance ? Ce refus de se poser la question et dy chercher une réponse ne cacherait-il pas la crainte de déboucher sur le doute, puis sur le scepticisme et enfin sur lincrédulité ?
Papy : Non ! Aucun risque. Notre foi est indestructible.
P.F. : Parlons maintenant de la résurrection des morts puisque le passage de lépître aux Thessaloniciens évoqué la relie au « retour » de Jésus. « Les morts en Christ ressusciteront » dit le texte. Tarrive-t-il de te poser des questions à ce sujet ?
Papy : Pas particulièrement. Quand on a la foi, on accepte même ce qui peut paraître absurde aux yeux de la réalité observable. Cest vrai que lhomme naturel peut difficilement accepter quun corps réduit en cendres, le plus souvent dispersées depuis longtemps, puisse revenir à la vie. Seule la grâce que nous avons reçue comme enfants de Dieu nous permet daccepter cette vérité sans hésitation. Tous les hommes et toutes les femmes ressusciteront, à commencer par « les morts en Christ » comme dit lapôtre.
P.F. : Ça fera beaucoup de monde sur la planète. Environ cent milliards dhumains y sont passés daprès les estimations des démographes...
Quelques questions :
Les morts, ressusciteront-ils nus ou habillés ? Si habillés, comment : vêtements de leur époque ? costume-cravate et tailleur ? Blue-jeans ? tenue légère en Afrique et vêtements chauds en Alaska ?
Papy : Ne te moque pas. Les choses ne doivent pas être vues avec les yeux daujourdhui. Tout sera changé.
P.F. : Je ne peux regarder quavec les yeux que jai ; je nen ai pas dautres et je ne me moque absolument pas. Je ne pourrais pas ne pas me poser ces questions si jétais croyant.
Papy : Mais tu ne les pas, ne te les pose donc pas !
P.F. : Tu as raison... Mais je veux profiter de ta patience et de ta gentillesse pour continuer ; peut-être cela te fera-t-il réfléchir ?
Papy : Ça métonnerait beaucoup
P.F. : Disons alors que cela peut taider à mieux comprendre, si besoin était, pourquoi je ne peux pas croire.
Autre question : dans quel état ressuscitera-t-on ? Un enfant mort à quinze ans, ressuscitera-t-il dans le corps dun enfant de quinze ans ? Et ira-t-il au jugement dernier à cet âge-là ? Et un enfant de cinq ans, quel âge aura-t-il à la résurrection ? Un homme de soixante ans nest plus le même que celui quil était à trente ; il a moins de mémoire, moins de réflexes, il a acquis de lexpérience, ce qui la rendu meilleur ou pire quavant. Ressusciterons-nous dans létat où nous étions au mieux de notre forme physique, morale et intellectuelle, cest-à-dire pas forcément à lâge auquel nous serons morts ? Dans quel état ressuscitera une femme décédée dans un état avancé dAlzheimer ? Renaîtra-t-elle saine desprit (pour pouvoir répondre de ses péchés au Tribunal de la fin ?) et une femme morte enceinte ressuscitera-t-elle avec le ftus vivant en son sein ?
Papy : Je crois que nous pouvons en rester là de ce dialogue qui ne change rien, ni à mes croyances ni à ton incrédulité. Ce qui me frappe chez toi, cest ton pessimisme. Tu ne laisses rien passer de ce qui ne va pas dans ce monde mais tu névoques à aucun moment le Bien qui pourtant existe.
Dautre part, je me demande quelles sont les motivations qui te poussent à une opposition aussi tenace à lencontre de nos croyances, les croyances de tes pères.
P.F. : Cest vrai que le Bien existe, dans les mêmes proportions par rapport au mal que lalouette dans le pâté du même nom par rapport au cheval. Le Bien mapparaît comme un accident, une exception à la règle. Il mévoque une magnifique fleur qui a poussé par hasard sur un tas de fumier.
Quant aux motivations de ma modeste personne, je veux bien quon en parle une prochaine fois, mais quelle importance ont-elles à côté des questions que je soulève ? Je suis toujours surpris, chaque fois que jexpose à un croyant les raisons de mon incroyance, de constater quil sintéresse aux motifs de mon attitude au lieu de se limiter à réfléchir à mes arguments, la seule chose qui mérite dêtre examinée.
Ce dialogue névoque pas une partie de la doctrine des pentecôtistes (baptême du Saint-Esprit, glossolalie, guérisons par imposition des mains) bien que les pentecôtistes soient classés parmi les chrétiens évangéliques. Les croyances de Papy sont celles des évangéliques qui ont pour origine le « Mouvement de Plymouth » (« Frères Etroits » et « Frères Larges »)
Le contenu de cette brochure peut être copié, plagié, reproduit, diffusé, sans autorisation de lauteur.
Cette brochure est disponible en italien à ladresse ci-dessous
Questo opuscolo è disponibile in italiano allindirizzo qui sotto :angeleri.gaspard@gmail.com
A cette même adresse, on peut se procurer gratuitement, du même auteur :
« Jai dit non à ma secte », témoignage qui raconte quand et comment lauteur a perdu la foi et est sorti de la secte dans laquelle il a été élevé (les « Frères Larges »)
« Ecrits démystificateurs », recueil dune partie des articles, lettres, extraits de lettres, sujets de conférences, que lauteur a commis en 56 ans de lutte contre les illusoires et trompeuses croyances religieuses. (281 pages, 49 textes, 2 poèmes, 1 dessin)
XHTML CSS |