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Agnosticisme et athéisme

Rand, David

L'incertitude absolue est aussi intenable que la certitude absolue

Une discussion de la définition de l'agnosticisme et de l'athéisme, et de diverses variantes de ceux-ci.
Cet texte paraît dans l'anthologie Là-haut, il n'y a rien compilée par Normand Baillargeon.

2011-02-05



Les variétés d'incroyance


Parmi les incroyants, il semble plus courant de se dire agnostique, plutôt que de se déclarer ouvertement athée. Les sondages sur l'appartenance religieuse font normalement peu de distinctions entre les différents niveaux d'incroyance. Si on voulait faire des distinctions, pour que les résultats soient utiles, il faudrait préalablement des définitions claires des termes utilisés dans les questions. Il conviendrait donc de réfléchir au sens de ses deux étiquettes. Que signifie donc le mot « agnostique » ? Le mot « athée » ?

D'abord, partons du principe que le sens générique du mot « athéisme » est « a-théisme », c'est-à-dire « sans théisme », où le « a » est privatif, signifiant l'absence. Le théisme est généralement défini comme la croyance en un dieu personnel, créateur de l'univers ; ce dieu est « distinct du monde mais exerçant une action sur lui » (Petit Robert), donc intervenant dans les affaires humaines. (Le présent article ne traite pas du déisme -- croyance en un dieu créateur mais non personnel, rejetant l'intervention divine et la révélation --, ni du panthéisme. L'athéisme se définit donc ici par opposition au théisme.)

Cette interprétation du mot « athéisme » n'est pas la seule possible. On peut comprendre le préfixe « a » au sens de la négation, et l'athéisme serait alors la négation de l'existence du dieu théiste, donc l'affirmation de sa non-existence. Mais je préfère nettement la définition « athéisme » = « absence de théisme » car la signification négative s'apparente à l'athéisme fidéiste que j'aborderai plus bas.

L'agnosticisme est un terme assez moderne. Selon le Petit Robert, le mot français a été emprunté à l'anglais en 1884. Effectivement, c'est dans la deuxième moitié du XIXe siècle que Thomas H. Huxley, orateur et célèbre partisan du darwinisme, a conçu le mot « Agnosticism » (la majuscule est de Huxley) pour désigner le sain scepticisme qu'il prônait face à toute idée préconçue ou hypothèse gratuite. Il est signifiant que le terme « agnosticisme » se construit par opposition à « gnostique », indiquant le rejet de la religion mystique.



Foi et raison


La Grille 1 permet de placer plusieurs termes dans un contexte, faisant ressortir les rapports avec d'autres termes semblables, connexes ou contraires. Ce schéma est inévitablement simpliste, car les nuances d'incroyance et de croyance ne se mettent pas facilement dans de petites boîtes, mais c'est une ébauche informelle.

Les différentes croyances et incroyances peuvent s'appuyer sur la foi ou sur l'observation et la raison, ou peuvent être adoptées naïvement, sans réflexion, assimilées passivement du milieu social. C'est cette diversité qui est représentée dans les trois colonnes A, B et C, plaçant la foi et la raison aux pôles. Le théisme s'appuie surtout sur la foi (case A3), mais est souvent adopté par simple conformisme (case B3). Parfois, les théistes essaient d'établir leur croyance sur la base de la raison (case C3). Un exemple de cette dernière approche est celle de Swinburne [2], qui tâche de prouver, à l'aide du théorème de Bayes, que la probabilité de l'existence du dieu chrétien est supérieure à 50 %. Son argumentation est loin d'être convaincante, mais il faut apprécier l'effort.

L'axe vertical de ce schéma représente donc la dimension croyance-incroyance ; en montant, on s'éloigne du théisme. L'axe horizontal représente la dimension foi-raison ; en se déplaçant vers la droite, on s'éloigne du fidéisme, que j'associe à une façon absolue de croire ou de ne pas croire.

Grille 1
  A
absolu ou fidéiste
B
naïf ou pratique
C
rationnel ou raisonnable
1
Athéisme
athéisme fidéiste :
« J'ai la certitude absolue qu'aucun dieu n'existe ni ne peut exister. »
athéisme pratique :
« La croyance en dieu m'est complètement inutile ; je vis ma vie sans jamais y penser. »
athéisme rationnel :
« Je n'ai aucune croyance en dieu(x). »

agnosticisme rationnel :
« Je n'ai aucune croyance en dieu(x). »
2
Agnosticisme
agnosticisme symétrique :
« L'existence et l'inexistence de Dieu sont également indémontrables et indécidables. »
agnosticisme indifférent :
« Je ne suis ni croyant ni incroyant ; je ne sais pas. »
3
Théisme
théisme fidéiste :
« J'ai une foi absolue en Dieu, mon Dieu. »
théisme conformiste :
« Je crois en Dieu comme tout le monde. »
théisme rationnel :
« L'existence de Dieu se constate ou se prouve de par Sa création et Ses œuvres. »


Agnosticisme absolu ou symétrique


À la case A2 se trouve la variante d'agnosticisme que j'appelle « symétrique », car il accorde à la croyance et à l'incroyance des parts égales. Appliqué au théisme, l'agnosticisme symétrique part du constat du manque de preuves absolues dans les deux sens pour conclure que l'existence et l'inexistence de « Dieu » ont la même probabilité. De toute évidence, cette attitude n'est pas raisonnable, car elle ne tient pas compte de la vraisemblance de chacune des deux hypothèses. Si on applique cette forme d'agnosticisme partout, l'absence de preuves absolues impliquerait une incertitude complète dans tous les domaines, et toute conclusion, toute connaissance devient impossible. On arrive donc à un scepticisme absolu, à un relativisme fort, au tout-se-vaut. On est très loin le l'agnosticisme de Huxley.

Les certitudes absolues n'existent qu'en mathématiques, en logique pure et... dans les dogmes religieux. Dans le vrai monde, nous devons nous contenter de connaissances plus ou moins certaines, ou au mieux, ayant une certitude hors de tout doute raisonnable. Mon dernier cours de thermodynamique date de très loin, mais si ma mémoire est bonne, il n'est pas absolument impossible que la surface d'un lac soit couverte de glace épaisse par une journée d'été de 35° C. Mais la probabilité de cette éventualité est tellement petite qu'elle est négligeable, et nous pouvons dire, avec une certitude raisonnable, que cela n'arrivera jamais. Si nous adoptons une attitude de scepticisme absolu et admettons que l'existence (ou non) de Jéhovah est indécidable, il faudrait admettre aussi que l'existence (ou non) du Père Noël est indécidable. Cette comparaison entre un dieu et un mythe enfantin n'est pas frivole ; elle éclaire la futilité de l'agnosticisme symétrique.



Théisme


L'agnostique symétrique adopte donc une attitude équivoque face au théisme. Pourtant, le théisme est intenable pour plusieurs raisons. D'abord, malgré toute l'ambiguïté qu'il peut y avoir dans les dogmes, chaque théisme propose néanmoins un dieu personnel et un monde bien particulier, avec des caractéristiques invraisemblables et souvent contradictoires. Avec chaque particularité ajoutée à la sauce (un messie par ci, un ange par là, etc.) le résultat devient de plus en plus invraisemblable. Tout cela s'appuie sur des hypothèses entièrement gratuites tandis que, suivant le principe célèbre des sceptiques Carl Sagan et David Hume, les affirmations extraordinaires exigent des preuves extraordinaires. Il incombe aux théistes de prouver la véracité de leurs dogmes, pas aux incroyants de prouver le contraire. De plus, nous savons que les théismes sont des mythologies dont les origines se trouvent dans l'imaginaire le l'humanité préscientifique. La fausseté des théismes est la conclusion raisonnable. (Noter que cette discussion ne porte pas sur une éventuelle valeur pragmatique de la pratique religieuse, mais seulement la véracité ou la fausseté des énoncés religieux.)

Même si nous faisons abstraction de l'invraisemblance de ses dogmes, il reste un autre niveau à franchir avant qu'un théisme soit crédible, celui de l'autorité. Les porte-parole de tout théisme s'expriment au nom de leur divinité, prétextant une connaissance privilégiée de sa volonté. Or, cette prétention est aussi invraisemblable, car comment peut-on affirmer qu'un pape ou un ayatollah aurait une meilleure connaissance de la volonté du créateur qu'aurait Britney Spears ou un paysan vietnamien ? Le produit de deux probabilités infinitésimales est une quantité encore plus négligeable.



Athéisme fidéiste


L'athéisme fidéiste (case A1) consiste à s'appuyer sur la foi pour rejeter le théisme. C'est un peu comme tuer une mouche avec de la dynamite. L'aspect fidéiste est de trop. Il est inutile de dire, « j'ai la foi absolue que la terre n'est pas plate », car la non-platitude de la terre est une conclusion dont nous pouvons être raisonnablement certains. Nul besoin de la foi. De la même manière, il serait inutile de dire « j'ai la foi absolue qu'il n'y a aucun monstre invisible et intangible dans mon salon », car même en l'absence de preuves il est raisonnable de rejeter cette hypothèse arbitraire. De même pour les théismes. Nul besoin de la foi pour les abandonner.

Il est intéressant de noter que Huxley rejetait l'athéisme, qu'il assimilait apparemment à sa variante fidéiste. Mais son agnosticisme, bien ancré dans la colonne C, était loin d'être symétrique !



Agnosticisme et Athéisme raisonnables


Dans la Grille 1 le séparateur entre les cases C1 et C2 est presqu'absent, car, à force d'appliquer une attitude raisonnablement sceptique aux théismes, l'athée et l'agnostique arrivent à des conclusions sensiblement identiques. En effet, la principale distinction entre les deux est le choix de l'étiquette. Les deux rejettent les théismes, et pour des raisons semblables. Les théismes sont des mythologies dont la fausseté est raisonnablement certaine.

Pour résumer : l'agnosticisme non fidéiste aboutit inévitablement à l'athéisme, ou en d'autres mots, l'athéisme (non fidéiste) n'est que le résultat de l'application du doute au théisme. En s'éloignant du fidéisme, il y a, à mon avis, convergence entre agnosticisme et athéisme.



Les porte-parole de l'au-delà


Il y a quelques années, j'ai fait la connaissance d'un sympathique monsieur qui croyait que le monde de Star Trek existait réellement dans un avenir concret et que les gens de ce monde pouvaient communiquer avec nous par des ondes qui se transmettaient à travers le temps, du futur au passé, jusqu'à notre présent. À part un petit sourire, ma seule réaction était de hausser un peu les épaules pour indiquer que je n'en étais pas tout à fait convaincu. Mais ce serait différent si des millions de gens croyaient la même chose, et ce serait plus inquiétant encore si certains de ces croyants avaient la prétention de pouvoir capter personnellement ces ondes « trekkiennes » et devenir par ce fait porte-parole de l'avenir, avec toute l'autorité qu'un tel privilège impliquerait. Cette secte « trekkienne » deviendrait nettement dangereuse si de plus ses porte-parole affirmaient que la connaissance acquise par le biais de ces transmissions était nécessaire pour bien vivre et que, par conséquent, il fallait se méfier de tous ceux -- les « atrekkiens »-- qui restaient en dehors de la secte et n'écoutaient pas les rapports de transmission.

Or, c'est à peu près cela qui se passe avec les grands théismes. Des millions de gens ont une croyance semblable, cette croyance se basant sur des hypothèses gratuites. Des porte-parole -- les autorités religieuses chrétiennes, musulmanes ou juives (ou, pour prendre un exemple polythéiste, hindoues) -- se sont établies, ayant la prétention de parler au nom de l'agent hypothétique qui est au centre de cette croyance. Et ces autorités ont aussi la prétention de déclarer que la connaissance ainsi acquise est nécessaire afin de vivre moralement. Ce n'est que dans l'histoire récente que quelques-unes de ces autorités, les plus modérées, évitent de faire cette dernière déclaration trop souvent ou trop ouvertement.

Quoiqu'incapable de prouver que mon ami trekkie avait tort, j'ai quand même décidé que son hypothèse était fausse, et ce, avec une certitude raisonnable, car j'estimais que la probabilité de vérité était infinitésimale, c'est-à-dire négligeable. Je pourrais toujours nuancer ou modifier ma conclusion dans l'éventualité (que j'estimais extrêmement peu probable) que de nouvelles données viennent un jour la mettre en cause. Je ne me suis pas dit -- comme se dirait un agnostique symétrique --, « Ah, c'est indécidable, car je n'en ai ni la preuve, ni la preuve du contraire. » Or, c'est précisément ce que beaucoup de critiques de l'athéisme proposent : rester indécis devant les théismes, ces vieilles mythologies héritées du passé préscientifique de l'humanité, encore moins vraisemblables que le « trekkianisme » de mon ami.



Conclusion


L'athéisme se définit par opposition au théisme. Des mots comme « athée » et « athéisme » existent dans les langues humaines depuis très longtemps, puisque les origines du théisme sont très anciennes. Par contre, il n'y a pas de mot comme « anastrologue » pour indiquer une absence de croyance en astrologie. Si le théisme était aussi marginal que l'astrologie l'est aujourd'hui (à moins que je ne sous-estime son importance), il ne serait plus nécessaire de se dire athée, car un athéisme pratique et par défaut serait la norme, la toile de fond. Le mot « athéisme » ne serait plus utilisé que dans des discussions savantes et abstraites. Mais nous ne sommes pas encore rendus là.



Références


  1. Thomas Henry HUXLEY, Agnosticism and Christianity and Other Essays, Prometheus Books, Buffalo, New York, U.S.A., 1992
  2. Richard SWINBURNE, The Existence of God (edition révisée), Clarendon, Oxford, 1991


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