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Interview : Yves Lever

Cette interview a été publiée dans le magazine Voir au moment de la sortie du livre « Petite critique de la déraison religieuse » d'Yves Lever. Elle est reproduite ici avec la permission de M. Lever.
Voir aussi : Extraits de « Petite critique de la déraison religieuse »

2008-08-21



Yves Lever L'âge de raison

Félix Légaré, Montréal


Mis à part quelques lettres épisodiques dans les journaux, l'athéisme reste tabou au Québec. Si l'on s'inquiète de la prolifération de sectes et de croyances vaseuses, on parle rarement d'athéisme pur.

Yves Lever est professeur de cinéma au cégep Ahuntsic, et a déjà publié une Histoire générale du cinéma. Cet ex-jésuite, défroqué depuis vingt ans, rompt un silence gêné avec son essai Petite Critique de la déraison religieuse (Liber). Entre bavardages et confidences, il livre, en deux cents pages, une critique radicale - mais sans amertume - de toutes les religions, fusillant les gourous tout autant que leurs fidèles. Son propos est sans équivoque: l'esprit religieux se nourrit de l'ignorance, de la peur et de la crédulité. Il faut s'en libérer et assumer notre liberté de penser.


Interview : Yves Lever

Félix Légaré : Vous dites dans votre livre: « Jésus et Jojo Savard: même combat. » Ça semble un peu fort...
Yves Lever : Ils enseignent pourtant la même chose. Chaque croyance, ancienne ou moderne, véhicule le même discours irrationnel: que quelqu'un d'autre que vous (Dieu, Allah, Bouddha, Gaïa, les ovnis ou les astres) décide de votre destin.

FL : Ça rassure les gens de penser que quelqu'un s'occupe d'eux, en haut.
YL : Chaque être humain tend à se soumettre à une autorité supérieure. Cette sécurité se vit plus facilement que la liberté. Dostoïevski a écrit des pages superbes là-dessus. Comme la légende du grand inquisiteur des Frères Karamazov, qui ne cherchait pas la liberté, mais la sécurité.

FL : Vous dites que les religions infantilisent les gens. Comment?
YL : Dans toute croyance, les dieux sont des pères dont nous sommes les enfants. Le danger, c'est que l'attitude religieuse est calquée sur une relation père-enfant inachevée. Le rôle du père est d'amener l'enfant à se passer de lui. Mais dans la religion, on reste un enfant, on ne devient jamais l'égal du père.

FL : Le Québec sort à peine du catholicisme. Pensez-vous qu'il y ait un lien à faire entre cette infantilisation et la politique québécoise ?
YL : L'expression État-providence ne vient pas de nulle part, tout comme l'éternelle adolescence du peuple québécois, son incapacité à décider de son avenir. Je ne suis pas sûr que l'indépendance soit la seule solution à nos problèmes d'identité. Mais je pense que maintenir le statu quo, c'est comme attendre qu'une quelconque divinité décide pour nous...

FL : Pourquoi l'athéisme est-il tabou au Québec ?
YL : On préfère éviter le sujet. Même quand un Denys Arcand nous tend une perche, on ne la saisit pas. Jésus de Montréal commençait par ces mots : « Il faut se débarrasser de l'idée de Dieu. » Personne n'a relevé cette déclaration. Au contraire, plusieurs en ont fait un film très chrétien ! Les gens semblent indifférents au débat religieux, et je trouve ça dommage.

FL : Pourquoi ?
YL : Parce qu'on vit un gros mensonge. Environ 10 à 12 % des gens sont pratiquants à Montréal. Mais on se marie encore à l'église, et on baptise 85 % des enfants, sans trop savoir pourquoi. Comme me disait une parente après le baptême de son petit : « C'est pas grave, il ne s'en est pas aperçu ! »

FL : Mais vous ne niez pas la nécessité de pratiquer certains rites.
YL : Pas du tout. Prenez les funérailles de Marie-Soleil Tougas, l'an dernier. C'était un des rares et beaux exemples de rite profane. J'ai salué cette initiative dans une lettre à la Presse et beaucoup de gens y ont réagi positivement. Les fêtes, les danses et nos nombreux festivals sont aussi des rites. On devrait apprendre à les identifier comme tels, à distinguer rituels et croyances.

FL : Si peu de gens pratiquent, comment expliquer qu'on ait mis tout ce temps à vouloir déconfessionnaliser les écoles ?
YL : Encore l'indifférence du public. Seulement 10 % de la population vote aux élections scolaires. Quand je me rends au bureau de vote, j'y vois presque uniquement des gens très âgés. Pourquoi ? Parce qu'on les sort de chez eux une fois par an en leur disant d'aller voter pour que la religion reste dans les écoles ! C'est comme ça que Palascio, du Regroupement confessionnel, est resté en place aussi longtemps.

FL : Que pensez-vous de l'enseignement moral à la petite école ?
YL : Je ne crois pas que ces cours soient encore très au point... Cela dit, je déplore que beaucoup de parents non pratiquants choisissent encore les cours de religion. Nathalie Petrowski a déjà écrit préférer l'enseignement religieux à l'enseignement moral, parce qu'il permet à son enfant de s'initier aux grandes religions et de partager la culture de ses parents. J'ai feuilleté un cahier du programme actuel de catéchèse. Il contient à peu de choses près ce qu'on me faisait ingurgiter à huit ans. On y lit : « Tout ce qu'il faut savoir et faire pour être heureux et aller au ciel. » On devrait éliminer une fois pour toutes cette manière de parler aux enfants !
Je ne nie pas la valeur culturelle de la religion. Au contraire : elle contient des idées, des mythes et un imaginaire fabuleux. Mais rangeons-la dans les musées, et prenons les mythes pour ce qu'ils sont : des mythes...

FL : Beaucoup de gens pensent qu'abandonner la religion, c'est perdre le véhicule des valeurs et de la morale.
YL : Cette idée est aussi fausse que répandue. Beaucoup de valeurs qu'on dit chrétiennes n'ont rien à voir avec la Bible. Elles existaient chez Platon, Confucius et d'autres philosophes ; ou encore, dans les mythes grecs et orientaux. Je ne vois pas pourquoi elles ne survivraient pas à un monde athée. Il faut les enseigner et responsabiliser les citoyens pour qu'ils cessent de penser que tout se décide en haut.

FL : Sans religion, on peut aussi verser dans une dictature de la raison...
YL : Les gens qui m'accusent de vouloir instaurer un culte de la science pensent que les scientifiques se prennent pour des dieux. C'est faux. La plupart d'entre eux passent leur vie à douter, et ils ne prétendent jamais que la vérité se trouve ici ou là. C'est ça, la liberté : accepter qu'on ne détiendra jamais une seule vérité. C'est exigeant, mais combien plus riche !

FL : Justement, vous ne semblez pas apprécier le silence de certains scientifiques concernant l'athéisme...
YL : Quand on demande à Hubert Reeves comment situer Dieu dans l'univers, il répond : « On ne peut rien dire parce que la religion se passe à un autre niveau. » Est-ce pour vendre plus de livres ? Je n'ose l'en accuser. Il suffirait de dire : « Le Dieu créateur, selon nos connaissances, ça ne tient pas debout, point. »

FL : Pourtant, vous avez été chez les jésuites, où l'on peut devenir très savant et rester croyant.
YL : Oui, c'est un grand paradoxe. Les jésuites, comme beaucoup d'ordres chrétiens, juifs ou autres, exigent l'obéissance absolue tout en favorisant le développement de l'intelligence. J'ai connu des jésuites extrêmement brillants mais qui ne produisaient rien parce que leur obéissance brimait toute volonté d'agir. Et j'ai quitté les ordres parce qu'on me répétait trop souvent : « Tu penses trop ! Arrête de réfléchir ! »

FL : Beaucoup croient qu'il suffit de laisser faire et que les croyances disparaîtront d'elles-mêmes.
YL : Ce qui m'effraie le plus, c'est l'idée que tout se passe dans le silence et que la religion soit remplacée par le vide. Il faut réfléchir à ce que serait un monde vraiment laïque. Récemment, Pierre Gauvreau a soulevé la question à la télé. Et il s'est trouvé des gens pour lui répondre que c'est une lutte dépassée qui appartient au siècle dernier. C'est faux ! Ce débat n'a pas encore eu lieu !
Ce qui est en jeu, c'est la prise en main de notre destin et de notre liberté. Bob Dylan a lancé un jour cette phrase très simple mais qui en dit long : « Celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir. »


Petite Critique de la déraison religieuse
Liber, 1998, 225 pages



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